Une visiteuse semble s’abandonner à son vis-à-vis guérisseur : les mains dans les siennes, les yeux profondément clos, elle se laisse guider vers on ne sait quelle vérité intérieure, tandis que d’un œil distrait, lui regarde le va-et-vient des chalands. Une femme en pleine introspection, un exposant en pleine prospection : la scène offre un bon résumé du premier salon du bien-être bio et des thérapies, qui s’est tenu du 16 au 18 septembre, à Villefranche-sur-Saône (Rhône), près de Lyon.
Des vendeurs d’eau originelle purificatrice, des maîtres de reiki (un art énergétique japonais), des cueilleuses-herbalistes, des hypnothérapeutes, un stand de chanvre, un chaman bourguignon, des bracelets artisanaux magiques et même un « omnicuiseur vitalité » à 900 euros le premier prix, payable en vingt fois : on trouve de tout, à part de la médecine scientifique, dans le parc d’exposition caladois. « Il y a depuis 2018-2019 une vague de résurgence des croyances marginales, vague qui a été amplifiée par les confinements et le contexte anxiogène actuel », explique Romy Sauvayre, sociologue des croyances au CNRS. « La clientèle change, elle s’est beaucoup rajeunie. On voit beaucoup de nouveaux visages », confirme Patrice Marty, organisateur du salon.
A peine l’entrée franchie, le vrombissement de la zone d’activité commerciale s’évanouit dans les odeurs d’encens et les cantates bouddhistes, au milieu des décors en peaux de bêtes et des grands posters new age. Les étals de pierres guérisseuses – lithothérapie, de son nom pseudo-savant – sont les plus courus par les quelque 4 500 visiteurs, surtout des femmes. Agate ambrée, cyanite bleue, tourmaline… A chacune ses promesses rassurantes, comme la purification du corps, l’expression des non-dits ou encore l’atténuation du stress. Au mur, une affichette récurrente : « Le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour tout achat effectué sur ce stand. »
Pseudo-médecines mais vrais remontants
Claudine, une préretraitée, vient d’en acquérir un collier. « Je dois me faire opérer du canal carpien, et dès que je l’ai tenu dans la main, je me suis sentie mieux. La vendeuse m’a dit que je n’avais pas besoin d’opération », relate-t-elle, émerveillée. Comme nombre des médecines alternatives présentes à Villefranche, la lithothérapie n’a aucune efficacité médicalement reconnue, mais l’autopersuasion a ses pouvoirs que la science ignore.
Dans les allées, tous défendent l’intérêt des médecines alternatives. « En Suisse, par exemple, tout le monde va voir des hypnotiseurs », assure Sandra, assistante maternelle rencontrée devant un stand de lecture de son « aura » cosmique. Au salon du bien-être, on vient chercher ce que la médecine traditionnelle n’offre pas. Une alternative naturelle aux médicaments, d’abord. « A force d’en prendre, ça ne fait plus effet », soupire Laura, assistante commerciale qui souffre d’anxiété.
Un discours rassurant, aussi. Sur un kakemono, des promesses de paix intérieure : « ancrage – centrage – lâcher prise. Bienfaits immédiats ». « Ça nous fait vraiment du bien. On voit le monde de manière moins négative, on a plus d’optimisme », resplendit Julie, coiffeuse de formation qui travaille à l’usine.
Enfin, les visiteurs cherchent du sens. « La médecine traditionnelle ne prend que le corps en compte. Les médecines alternatives permettent d’appréhender la maladie dans son ensemble, avec son message », estime Virginie, une éducatrice spécialisée versée aussi bien dans la lithothérapie que la médiumnité.
Complotisme
Quand la science est convoquée, c’est pour citer le controversé Christian Perronne, dénoncer les intérêts financiers de l’industrie du médicament, ou ironiser sur un article frauduleux publié dans le prestigieux journal scientifique Lancet, en mai 2020.
Les chuchoteries antivax sont monnaie courante. « Les vaccinés, il faut les aider », estime Jean-Paul Lafrancesca, magnétiseur-rebouteux-radiesthésiste (il soigne grâce à un pendule). Dans son « cabinet », il assure voir plein de zonas chez des « injectés ». Le complotisme dépasse souvent les doses homéopathiques. A l’entrée du salon, Pierre, entrepreneur reconverti dans l’ésotérisme, propose une initiation au « chamanisme matriciel », consistant, pour 180 euros les trois jours, à « sortir de la matrice du coronacircus, créé de toutes pièces par l’Etat profond ».
La rationalité disparaît parfois totalement sous de l’ésotérisme new age. « Le vaccin, c’est de la cochonnerie, les médiums me l’ont dit », s’emballe Joëlle, une autre assistante maternelle. Elle ne consulte que des voyants « en contact direct avec la Source » – sorte de canal de vérité divine.
Reconversions et dérives
Pour certains, cette spiritualité est devenue une voie de reconversion professionnelle. Claudine a découvert son don de coupeuse de feu il y a trois ans. Au début, elle ne le faisait pas payer. « Mais depuis j’ai eu un message de l’au-delà me disant que ça ne pouvait pas être gratuit. C’est quand même un cadeau de l’univers. » Reflet de cette demande, de nombreux stands offrent des formations, souvent express, en géomancie, en hypnose ou encore en chamanisme. « On est dans du commerce non réglementé, avec des dangers dont les visiteurs n’ont pas conscience », déplore Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes.
Nul pourtant n’ignore la présence de charlatans, mais tous jurent savoir les détecter grâce à leur intuition. Il existe, par ailleurs, des visiteuses plus sceptiques, comme Magalie, enseignante, qui accompagne son amie Virginie. « Je m’intéresse aux pierres, je fais du yoga, mais ça reste terre à terre, minore-t-elle. Des trucs comme les “flammes jumelles” [sorte d’âme sœur astrale], ça paraît irréel, ça me fait sourire. » A ses côtés, Virginie, sourire crispé : « Moi, j’y crois. » La cohabitation de ces croyances n’est pas anodine. « Chacune de ces propositions est un appel d’offres, alerte Pascale Duval. C’est un premier pas vers l’irrationnel, avec, tout en haut, le risque de tomber dans de la dérive sectaire. »