S’émerveiller des beautés de la nature, c’est peut-être le premier pas vers l’envie de la préserver. C’est en tout cas ce que pense Séverine Martini, chargée de recherche à l’Institut méditerranéen d’océanologie (CNRS, soutenue par la Fondation Bettencourt Schueller). Elle est spécialiste de la bioluminescence des animaux marins, un phénomène stupéfiant qui n’a pas encore révélé tous ses secrets. Elle partage aujourd’hui avec nous, sa passion pour les océans.
Savez-vous que les trois quarts des organismes marins sont bioluminescents ? Des médusesméduses, des poissons, des bactériesbactéries. Tous capables de produire leur propre lumièrelumière par des réactions chimiquesréactions chimiques. Un peu comme les lucioles qui enchantent nos soirées d’été. « Nos océans sont merveilleux. » C’est le message que Séverine Martini veut nous faire passer. Sa spécialité, justement, c’est la bioluminescencebioluminescence.
« Les océans sont obscurs. Alors, émettre de la lumière, c’est un vrai avantage. Pour communiquer, pour échapper à un prédateur, pour attirer une proie ou encore pour trouver un partenaire sexuel », nous précise la chargée de recherche CNRS à l’Institut méditerranéen d’océanologie, lauréate en 2015 du prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs de la Fondation Bettencourt Schueller. « Et pas seulement dans les abysses. La bioluminescence s’observe aussi près de la surface. » Pour profiter de la magie, il suffit parfois de se baigner en pleine nuit.
Mais, au-delà de la magie, il pourrait bien se cacher derrière la bioluminescence quelques processus d’intérêt scientifique. « C’est tellement répandu qu’on se dit qu’il y a forcément des choses qu’on ignore encore », nous confie Séverine Martini. Parmi ces choses, le lien entre la bioluminescence et celle que les scientifiques appellent la pompe biologique de carbone.
Le saviez-vous ?
À la surface de l’océan vivent des organismes — le phytoplancton — qui utilisent l’énergie du soleil pour transformer le CO2 en oxygène. Ils transforment ainsi également le carbone inorganique dissous dans l’eau en matière organique dont d’autres vont se nourrir. Une partie de cette matière organique finira stockée au fond de l’océan. Près de 10 milliards de tonnes de carbone stockées chaque année, tout de même. Par ce que les scientifiques appellent la pompe biologique de carbone.
« Il y a un nombre incroyable de bactéries bioluminescentes attachées aux particules de carbonecarbone organique qui chutent le long de la colonne d’eau. Ces particules sont des amas de détritus de phytoplanctonphytoplancton, des cadavres d’organismes qui coulent vers le fond. Ces bactéries pourraient agir comme des marqueurs visuels. Rendant ces particules plus “visibles” que les autres. Et augmentant ainsi leur chance d’être ingérées. »
Oui, parce que pour une bactérie, se faire manger est une chance. Une chance de se retrouver au chaud dans un intestin riche en ressources nutritives. De proliférer plus facilement que dans les eaux un peu hostiles de l’océan. « Les tenants et les aboutissants du changement climatique anthropique, c’est un peu comme un puzzle. Et la bioluminescence, finalement, comme une pièce de ce puzzle », conclut Séverine Martini.
Pollution et réchauffement climatique font souffrir l’océan
Une pièce qu’il est d’autant plus important de réussir aujourd’hui à placer correctement que « ce qui se passe dans l’océan est catastrophique ». On pense bien sûr à la pollution plastique. « Il y a du plastiqueplastique sur les plages. Mais c’est seulement la partie visible de l’iceberg. Dans les profondeurs auxquelles nous travaillons, entre 200 et 1.000 mètres, même au-delà de 2.000 mètres parfois, nous avons pu observer des bouteilles, des sacs et toutes sortes d’autres déchets plastiques », nous confie la chercheuse. C’est sans même évoquer la pollution encore plus invisible. Celles des microplastiquesmicroplastiques.
« L’autre urgence, bien sûr, c’est celle liée au changement climatique. La thématique est extrêmement importante. Notamment en océanographie. Car comme nous venons de l’évoquer, l’océan joue un rôle dans la séquestration du carbone. Il capte le carbone atmosphérique et le séquestre dans ses profondeurs sur des échelles millénaires. »
L’exploitation minière des océans, une vraie menace
Mais le sujet dont on parle encore peu et qui pourtant inquiète grandement les scientifiques, c’est celui de l’exploitation minière des fonds marins. « Extraire des mineraisminerais de l’océan, cela met des sédimentssédiments en suspension, cela augmente la turbiditéturbidité, cela crée du bruit. Avec potentiellement des conséquences extrêmement néfastes sur un écosystèmeécosystème que nous apprenons tout juste à connaître », souligne Séverine Martini. Un écosystème que les chercheurs savent tout de même d’ores et déjà délicat. Avec des temps de réaction au changement extrêmement lents.
“Ça nous fait vraiment peur”
Avec l’évolution des moyens et des technologies, l’exploitation des fonds marins est devenue accessible. D’autant que la demande, elle, explose. Les minerais rares sont recherchés pour la fabrication des batteries de nos voitures électriquesvoitures électriques et hybrideshybrides, des LEDLED, des puces de nos smartphonessmartphones, des écrans de nos ordinateursordinateurs portables, des panneaux solaires photovoltaïques ou encore des éolienneséoliennes. Des projets ont été validés en Inde. D’autres sont en cours de développement. Y compris en France. Et « ça nous fait vraiment peur », nous confie la chercheuse. D’abord parce que ces projets concernent des zones qui semblent jouer un rôle primordial dans le processus de pompe biologique. « Si l’océan capte plus ou moins de carbone atmosphérique, ça a un impact direct sur le changement climatique. Sur notre vie de tous les jours. »
L’autre raison pour laquelle nous devrions prendre garde à ne pas exploiter trop rapidement les fonds marins, c’est parce que, peut-être même plus qu’ailleurs, il est important de préserver l’équilibre de ces écosystèmes. « Il y a, au fond de l’océan, une biodiversité que l’on ne connaît pas encore. Il pourrait s’y cacher des moléculesmolécules utiles, qui nous permettraient de fabriquer des médicaments. Le fond de l’océan constitue aussi une part de nos ressources halieutiques. Garder un bon équilibre entre ce que l’on prélève et ce qui vit dans ces milieux est important », nous fait remarquer Séverine Martini.
« Lors de mon postdoctorat, à chaque fois que l’on plongeait, on tombait sur une espèce encore jamais décrite, se rappelle-t-elle, un brin d’émotion dans la voix. C’est absolument incroyable de se dire que l’organisme que l’on observe n’a presque jamais été vu auparavant. En 2022. Je ne parle même pas de micro-organismesmicro-organismes, mais de certains poissons, des calmars, etc. Nous devrions tous prendre conscience que changer de smartphone tous les ans — et plus largement de notre manière de consommer de la technologie, et donc des matériaux rares –, nous pousse sur la mauvaise voie ».