« Merci le Covid ! » L’expression pourrait servir de titre-clin d’œil à un épais rapport de recherche sur un sujet, jusque-là réservé aux spécialistes, mais que l’épidémie a sorti des coulisses des labos et projeté sur le devant de la scène : l’intégrité scientifique.
L’expression désigne les règles visant « à garantir [aux travaux de recherche] leur caractère honnête et scientifiquement rigoureux et à consolider le lien de confiance avec la société », comme le précise la loi de programmation de la recherche de décembre 2020. En langage plus clair, les chercheurs ne doivent pas frauder, un spectre d’inconduites allant de manquements graves comme plagier, falsifier ou fabriquer des données, à la signature d’articles sans avoir participé au travail, en passant par des embellissements de figures, ou des arrangements statistiques…
La crise sanitaire a montré que ces inconduites, que le public aurait pu considérer comme quasi théoriques, existent bien : articles retirés pour fraude, liens d’intérêts non signalés, accommodements avec l’éthique (des enquêtes sont en cours sur ces sujets contre l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection)… ont scandé la période.
« Zones grises »
Une équipe de sociologues des sciences menée par Michel Dubois et Catherine Guaspare, du laboratoire Gemass (CNRS/Sorbonne Université), a voulu savoir ce que la communauté scientifique pensait du sujet, dans un rapport rendu le 30 septembre dans le cadre du projet Covethos. Il y a encore du chemin à faire, à en croire les réponses à un questionnaire des 2 132 techniciens, ingénieurs et chercheurs anonymes du CNRS (une étude semblable sur l’Inserm va débuter).
Presque 11 % des chercheurs reconnaissent avoir modifié la méthodologie d’un projet de recherche pour répondre aux pressions d’un financeur
Premier constat, un tiers seulement des répondants affirme avoir une connaissance suffisante des règles de l’intégrité. Et 21 % reconnaissent ne pas avoir ces connaissances.
Second constat, les aveux d’inconduites ne sont pas rares. Cinq d’entre elles, plus ou moins graves, ont été « testées » : 0,4 % des répondants avouent avoir utilisé des idées d’autrui sans les nommer, souvent ou très souvent (et 9 % l’avoir fait rarement) ; 2 % avoir évité souvent de présenter des données qui pourraient contredire leurs hypothèses (et 21 % l’avoir fait rarement). Presque 11 % reconnaissent avoir modifié la méthodologie d’un projet de recherche pour répondre aux pressions d’un financeur…
« Nous n’avons pas été surpris par ces chiffres, déjà observés dans d’autres pays, mais c’est la première fois que nous avons une telle enquête en France, indique Michel Dubois. Elle nous permet d’insister sur l’importance de la zone grise de l’intégrité, au-delà des manquements les plus graves. » Selon lui, les institutions auraient intérêt à se saisir de cette « zone grise » autrement qu’à partir des « affaires » graves rendues publiques, afin de construire une « culture partagée » sur le sujet.
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