Auteur d’un court essai, Nature (Anamosa, 102 pages, 9 euros), qui vise à réhabiliter une notion critiquée par certaines pensées de l’écologie comme étant une invention occidentale, le philosophe et éditeur Baptiste Lanaspeze fait paraître chez Wildproject, sa maison d’édition, la traduction de Plurivers. Un dictionnaire du post-développement (550 pages, 25 euros). Une critique radicale du développement qui, à travers une centaine d’entrées, explore, sur les cinq continents, d’autres modalités de vivre comme autant de pistes pour façonner des sociétés écologiques.
Les auteurs de « Plurivers » invitent à renoncer au développement, pourquoi ?
L’une des premières fois où le terme de « développement » a été employé officiellement, c’est par Truman, en 1949. Il paraît inoffensif, mais il s’adosse à une description de l’ordre mondial postcolonial qui, en fait, repose sur la reconduction industrielle de la relation coloniale. Le monde proposé pour succéder aux empires coloniaux a gardé l’essentiel de la structure du monde d’avant, la même brutalité, la même destruction des savoirs vernaculaires et des peuples indigènes. Adossé au diagnostic du désastre écologique, on ne peut plus se référer à l’idéologie du développement comme un point de repère stable et sérieux.
Est-ce la raison pour laquelle, dans votre essai « Nature », vous liez combat écologique et lutte décoloniale ?
Dans La Mort de la nature (Wildproject, 2021), la philosophe et historienne Carolyn Merchant montre comment, aux XVIe et XVIIe siècles, des savants masculins ont fait de la nature un amas de particules inertes que l’on peut manipuler et exploiter. Cette idée est contemporaine de l’apparition des théories du contrat social selon lesquelles il faut s’arracher de l’état de nature pour devenir civilisé. De même que l’on a tué en Europe cent mille sorcières garantes des relations magiques avec le monde, on a apporté la civilisation aux indigènes en les colonisant. La modernité met en œuvre la destruction simultanée de la nature et des cultures vernaculaires. Cela vaut autant pour la France de l’intérieur que pour les colonies. Les pensées écologiques ont toujours porté en elles une graine décoloniale, car elles détruisent le cosmos de l’homme blanc moderne, en réhabilitant pleinement l’idée de nature, y compris chez des penseurs comme Henry David Thoreau [1817-1862], Arne Næss [1912-2009], lecteur fasciné de Gandhi et proche de Nehru, ou John Baird Callicott, qui a passé sa vie à critiquer le concept de wilderness notamment parce qu’il était colonial…
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