Principalement connu pour ses déserts et ses chaleurs extrêmes, le royaume d’Arabie saoudite a été retenu le 4 octobre pour l’organisation des Jeux panasiatiques d’hiver de 2029. Que la somme de ces deux informations produise une dissonance cognitive ne surprendra personne. Encore moins dans le contexte des polémiques qui entourent déjà la prochaine Coupe du monde de football, prévue cet automne sur le sol d’un autre pays de la péninsule Arabique, le Qatar, dans des stades climatisés à ciel ouvert.
La Chine avait ouvert la voie en février, lors des Jeux olympiques d’hiver organisés à Pékin, avec pour la première fois une neige totalement artificielle. Le royaume repousse plus loin encore les limites de l’absurde, avec les épreuves prévues de ski et de patinage de vitesse. Certes, il peut arriver qu’il neige, en Arabie saoudite, mais l’émoi que les rares flocons suscitent alors témoigne précisément de leur extrême rareté.
Ces Jeux asiatiques d’hiver se dérouleront dans la province de Tabouk, frontalière de la Jordanie et baignée par la mer Rouge. Elle fait face au détroit de Tiran, qui la sépare de la ville égyptienne de Charm El-Cheikh. La prochaine COP27 sur le changement climatique se tiendra justement dans cette dernière en novembre. Les délégués qui s’y presseront pourront disserter à loisir sur cette parabole saoudienne. Elle illustre à la perfection la subordination systématique des enjeux environnementaux aux impératifs de puissance et de prestige.
Il y a un an, le royaume d’Arabie saoudite lançait une « Initiative verte » pour parvenir à la neutralité carbone en 2060. Il était question de la plantation de milliards d’arbres, de réduction massive des émissions de gaz à effet de serre dès 2030, et du quasi-doublement des zones protégées du royaume, y compris dans la province de Tabouk. Le 24 septembre, à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le délégué saoudien a d’ailleurs réitéré l’engagement de son pays dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le levier de l’argent
Ces objectifs louables restent manifestement compatibles, selon la logique saoudienne, avec l’affront environnemental que vont constituer la préparation et la tenue des Jeux asiatiques d’hiver. Leur organisation répond il est vrai à un objectif qui n’a rien à voir avec le sport et encore moins avec l’écologie. Il s’agit de promouvoir un projet qui tient particulièrement à cœur à l’homme fort de Riyad, le prince héritier Mohammed ben Salman, récemment promu premier ministre : la création ex nihilo dans cette province de Tabouk d’une cité futuriste, Neom.
Mohammed Ben Salman, dont la réputation reste entachée par l’assassinat et le démembrement du dissident Jamal Khashoggi, tente en fait de copier, avec quelques décennies de retard, la cité la plus clinquante des Emirats arabes unis, Dubaï. On ne peut mieux dire l’anachronisme d’un projet dont les éléments de langage renvoient au jargon inimitable des cabinets internationaux de conseil en stratégie.
Que l’hubris d’un potentat le conduise à embrasser la perspective de Jeux d’hiver en plein désert peut, hélas, se concevoir. Il est en revanche déplorable que le levier de l’argent conduise les comités d’organisation de tels événements à s’affranchir de toute autre considération et à rester sourds et aveugles à la prise de conscience dans les sociétés du coût toujours plus élevé des dérèglements climatiques, et de ce qui les alimente. Ces dérives sont des impasses. Il conviendrait de le reconnaître au plus vite.