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Comment nous avons désanimalisé la viande


C’est un texte de Claude Lévi-Strauss publié dans les années 1990 par le journal italien La Repubblica. En pleine crise de la vache folle, alors que des bovins brûlent par centaines sur de gigantesques bûchers, l’anthropologue se livre à une longue méditation sur notre appétit pour la chair animale. « Un jour viendra, conclut-il, où l’idée que, pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants et exposaient complaisamment leur chair en lambeaux dans des vitrines inspirera sans doute la même répulsion qu’aux voyageurs du XVIe ou du XVIIe siècle les repas cannibales des sauvages américains, océaniens ou africains. »

Ce jour serait-il arrivé, du moins pour certains d’entre nous ? Lévi-Strauss était-il visionnaire, en annonçant, en 1996, que les étals de bouchers susciteraient de plus en plus le « malaise » ? La suite semble, en tout cas, lui avoir donné raison : la consommation de viande recule et nous nous détournons de plus en plus des morceaux de boucherie qui rappellent le corps, voire le spectre, de l’animal. L’anthropologue Noëlie Vialles nomme « sarcophagie » cette répulsion contemporaine ; un concept qui désigne le fait que nous préférons les steaks hachés aux tripes, les blancs de poulet à la cervelle d’agneau ou les nuggets à la langue de bœuf.

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Les grandes surfaces proposent ainsi des morceaux de plus en plus désossés, découpés et emballés – « désanimalisés », résume Noëlie Vialles. Dans les barquettes en plastique, les volailles n’ont ni plumes, ni bec, ni pattes, et, dans les plats préparés, la peau, les cartilages et les os ont disparu. Pour le sociologue irlandais Stephen Mennell, auteur de Français et Anglais à table du Moyen Age à nos jours (Flammarion, 1987), le fait qu’une grande partie du bœuf soit désormais consommée sous forme de hamburger est le « symptôme du haut niveau de répugnance éprouvé à l’égard des morceaux d’animaux trop identifiables ».

Assumer le geste qui tue

Ce dégoût de plus en plus répandu envers tout ce qui, dans le régime carné, rappelle ostensiblement le corps de la bête est le signe, selon Noëlie Vialles, de notre trouble face à la mise à mort des animaux de boucherie. Un des personnages de L’Œuvre au noir, roman de Marguerite Yourcenar, affirmait ainsi, dès 1968, qu’il lui déplaisait de « digérer des agonies ». « Vous mangez des plaies », lançait l’écrivain Lanza del Vasto à Michel Tournier, lorsqu’il dégustait un steak. Un lexique morbide destiné à souligner une évidence que nous chassons volontiers de nos esprits : la viande est le seul aliment qui suppose de tuer des êtres de chair et de sang.

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Written by Stephanie

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