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« Bruno Latour suppliait les philosophes et les théologiens de donner la prévalence à l’espace sur le temps »


Bruno Latour s’en est allé. Le Collège des bernardins perd un maître et un ami. Les premières rencontres avec lui eurent lieu en 2014, dans cette année qui précéda la COP21. Chantal, sa femme, concevait un projet fantastique : faire sonner les cloches de toutes les églises de Paris une semaine avant la conférence pour qu’une « grande clameur » se fasse entendre. Hélas, les attentats du 13-Novembre en décidèrent autrement. L’été 2015 avait vu la parution presque simultanée de l’encyclique Laudato si’ sur l’environnement et de son livre Face à Gaïa [La Découverte].

L’appel prophétique du pape François fut, pour Latour, une divine surprise. Il portait une puissance de renouvellement pour les fidèles comme pour ceux qui n’imaginaient pas que l’Eglise puisse leur dire quelque chose qui les touche. Latour avait immédiatement repéré les deux innovations majeures de Laudato si’ : le lien entre les dévastations de la Terre et les injustices sociales, la reconnaissance de la puissance d’agir et de souffrir de la Terre elle-même. Il avait aussi enregistré que ces deux innovations étaient associées au mot « clameur » qui, en latin comme en français, a une origine juridique : la Terre et les pauvres portent plainte !

Cependant, il fallait bien le reconnaître également, ces clameurs ne tintaient pas aux oreilles de tous, loin s’en faut. Comment s’expliquer qu’après plus de quarante ans d’alertes de toutes sortes, l’accumulation des données scientifiques ne parvenait pas à vaincre une si triste surdité ? L’idée vint à Bruno d’organiser aux Bernardins un séminaire sur les « sources de l’insensibilité écologique ». Entre 2017 et 2019, celui-ci réunit mensuellement toutes sortes de penseurs des mutations de la Terre avec des théologiens. Bruno fut particulièrement marqué par une séance qu’il considéra comme historique. Frédérique Aït-Touati présentait un ouvrage collectif, Terra Forma (B42, 2019), conçu comme un manuel de cartographies qui rendent sensible la transformation de notre rapport à la Terre.

« Un appel prophétique »

Un long échange s’ensuivit avec un jeune théologien venu pour la première fois au séminaire. Frappé par le fait que les cartes du livre dessinaient des trajectoires historiques, le théologien fit le parallèle avec l’écriture biblique, qui, elle aussi, métamorphosait des lieux en récits. Latour fit souvent mémoire de cet échange : une historienne des sciences et un théologien parlait du même monde, tissé par les vivants, sans que le chrétien se croit obligé d’y ajouter du « spirituel ».

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Written by Stephanie

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