Alors qu’ils effectuaient des mesures de polarisation électrique sur des protons, des chercheurs ont confirmé une anomalie détectée il y a déjà quelques années. La courbe de polarisation représentée en fonction de l’énergie ne correspond pas à ce que prédit la théorie. Selon l’équipe, cette découverte remet en question la chromodynamique quantique qui décrit l’interaction forte.
La matière visible qui nous entoure est majoritairement constituée d’atomes. Eux-mêmes se divisent en deux parties, un noyau constitué de protons et de neutrons, et des électrons qui orbitent autour. Si l’électron est bien une particule élémentaire, c’est-à-dire non sécable en plus petits composants, les protons et neutrons sont, eux, composés entre autres de trois quarks de valence. Le proton possède deux quarks « up », et un quark « down ». S’y ajoutent des paires quark-antiquark, et des gluons, vecteurs de l’interaction forte, qui maintiennent la cohésion entre les quarks. La description de cette interaction forte se fait à l’aide de la chromodynamique quantique (terme souvent raccourci en QCD pour quantum chromodynamics).
Dans une étude publiée dans Nature, des chercheurs se sont penchés sur un autre élément du proton : sa polarisabilité électrique. Elle désigne sa capacité à se déformer lorsqu’il est soumis à un champ électrique : la particule peut se déformer, plus ou moins selon l’intensité du champ appliqué. Quelques années auparavant, explique l’étude, une anomalie avait été détectée dans la courbe de polarisabilité du proton, attribuée à des erreurs de mesures. Mais la nouvelle étude confirme cette anomalie qui, pour l’instant, est inexplicable, même par la QCD.
Des photons virtuels qui rentrent dans le proton
Pour ses recherches, l’équipe a utilisé la Thomas Jefferson National Accelerator Facility du Département de l’Énergie des États-Unis. Ce gigantesque laboratoire comporte un accélérateur d’électrons qui permet de générer de puissants faisceaux d’électrons. Ils peuvent ensuite être utilisés pour bombarder une cible fixe, dans ce cas précis, un proton. Ensuite, il se produit un effet appelé diffusion Compton virtuelle qui consiste en « la diffusion d’un électron sur un proton par échange d’un photon virtuel et la réémission d’un photon réel par le proton dans la voie finale », explique le CEA. Autrement dit, lorsqu’un électron arrive sur le proton, comme dans le cas du faisceau, il produit un photon virtuel qui va directement interagir avec le proton. C’est l’énergie initiale de l’électron qui impose celle du photon virtuel.
À basse énergie, il peut rebondir à la surface du proton. Mais, passé un certain seuil, il rentre dans la sous-structure, et peut alors interagir avec toutes les sous-particules qui y sont contenues. « Nous voulons comprendre la sous-structure du proton. Et nous pouvons l’imaginer comme un modèle avec les trois quarks équilibrés au milieu, a expliqué Ruobab Li dans un communiqué, premier auteur de l’étude. Maintenant, mettez le proton dans le champ électrique. Les quarks ont des charges positives ou négatives. Ils se déplaceront dans des directions opposées. Ainsi, la polarisabilité électrique reflète la facilité avec laquelle le proton sera déformé par le champ électrique ».
Les mesures en désaccord avec la théorie
La théorie prédit une courbe de polarisabilité lisse, qui diminue petit à petit quand l’énergie incidente augmente. Mais les mesures ont au contraire révélé une « bosse » : « Ce que nous voyons, c’est qu’il y a une amélioration locale de l’ampleur de la polarisabilité. La polarisabilité diminue à mesure que l’énergie augmente comme prévu. Et, à un moment donné, elle semble remonter temporairement avant de redescendre, a décrit Nikos Sparveris, coauteur de l’étude et qui a dirigé l’expérience. Sur la base de notre compréhension théorique actuelle, elle devrait suivre un comportement très simple. Nous voyons quelque chose qui s’écarte de ce comportement simple. Et c’est ce fait qui nous laisse perplexe en ce moment ».
Et ce n’est pas la première fois qu’un tel résultat est trouvé. Comme l’explique l’étude, « une amélioration locale de la polarisabilité électrique en fonction de l’échelle de distance dans le système, a été rapportée par une mesure (répétée plus tard par le même groupe) à Q2 = 0,33 GeV2 mais avec une grande incertitude expérimentale ». Anomalie qui était remise en question depuis des années, attribuée à des erreurs de mesures, ajoutées aux incertitudes. Mais, cette fois, les chercheurs ont effectué des mesures d’une grande précision, confirmant cet étrange phénomène qui n’est pas pris en compte dans la théorie. « Il y a quelque chose qui nous manque clairement à ce stade. Le proton est le seul bloc de construction composite stable dans la nature. Donc, s’il nous manque quelque chose de fondamental là-bas, cela a des implications ou des conséquences pour toute la physique », a confirmé N.Sparveris.
Pour la suite, les chercheurs comptent effectuer de nouvelles expériences, visant à mieux connaitre cette anomalie. « Nous voulons mesurer plus de points à différentes énergies pour présenter une image plus claire et voir s’il y a une autre structure là-bas », a conclu Ruobab Li.