Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2022, la sonde Dart a dévié volontairement l’astéroïde Dimorphos, dans le cadre d’un programme de défense planétaire. Futura a recueilli à ce sujet les propos de l’un des pères de la mission, l’astrophysicien Patrick Michel, qui a suivi la collision en direct depuis le laboratoire de physique appliquée où se situe le centre des opérations aux États-Unis.
C’est fait, la Nasa a dévié un astéroïde ! Dimorphos a été percuté par la sonde Dart dans la nuit du 26 au 27 septembre, alors qu’elle progressait vers lui depuis déjà 10 mois. Une mission prévue depuis presque une décennie, et dont la réussite a été très récemment annoncée ! Mais que présage-t-elle pour la suite ? Futura a interrogé à ce sujet Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur et pionnier de la déviation d’astéroïdes, qui travaille entre autres sur les missions Dart et Hera dont il est le responsable scientifique.
« On s’est demandé si on n’avait pas pulvérisé Dimorphos »
Présent depuis le début du projet Dart, et même un de ses pères initiateurs, Patrick Michel était dans la salle d’opération lorsque les premières images de la collision sont arrivées. « Alors que l’on assistait aux premières images venues du sol de Dimorphos, la poussière éjectée était telle que l’on s’est demandé si on n’avait pas pulvérisé l’astéroïde ! » Les images suivantes ont finalement révélé de nombreux éjectas, qui ont d’ailleurs formé deux queues de comètes, annoncées par la Nasa le 20 octobre. « Les deux “queues de comète” montrent que l’impact a été majeur. Elles ne sont pas étonnantes, mais constituent quand même une part de résultat importante », explique Patrick Michel.
Mais ce qui compte surtout, c’est la déviation de Dimorphos : son orbite s’est raccourcie de 32 minutes. Un résultat enthousiasmant, sachant que « 73 secondes était le minimum pour que la déviation ait fonctionné : c’est la valeur obtenue si seule la quantité de mouvement de la sonde Dart était transmise à Dimorphos, liée à sa masse et sa vitesse, complète-t-il. Nos simulations prévoyaient entre 10 et 15 minutes en moyenne : 32 minutes est d’autant plus une réussite ! Cela montre qu’une grande quantité de matière a été éjectée et a ajouté de la poussée ».
La mission rassure aussi, car « c’est la première fois que l’on envoie une sonde à très haute vitesse pour impacter à 23 000 km/h un corps dont on ne connaît que la taille. Le fait que l’impact ait eu lieu est déjà une réussite. » En effet, le chemin vers Dimorphos était « loin d’être un long fleuve tranquille : la sonde aurait pu subir de nombreux dégâts, internes ou externes, avant son arrivée », complète-t-il.
« Avec un astéroïde seul, il aurait fallu des mois pour observer une quelconque déviation »
Mais pourquoi ce choix de Dimorphos ? D’abord, car il en fallait un observable depuis la Terre : « Cet astéroïde est un géocroiseur, mais ce n’est pas que pour ça qu’il a été choisi : on voulait un astéroïde suffisamment proche pour pouvoir effectuer des mesures depuis le sol terrestre », nous apprend Patrick Michel. Mais aussi car Dimorphos, d’une taille de 160 mètres, est en fait une lune d’un autre corps de 800 mètres de diamètre, Didymos ! Ainsi, son orbite, au lieu d’être autour du Soleil, se fait autour de Didymos, donc dure bien moins longtemps, permettant des observations presque en direct ! En effet, « avec un astéroïde seul, il aurait fallu des mois pour observer une quelconque déviation », ajoute-t-il. Didymos a ainsi été choisi avec sa lune Dimorphos dès 2011, sachant qu’il passait près de la Terre fin septembre 2022, laissant onze ans pour préparer l’impact.
À la suite de cet impact, de nombreuses informations restent encore à déchiffrer, notamment sur les caractéristiques de Dimorphos, comme sa structure et sa composition. Elles ne devraient pas arriver avant quatre ans, car « la mission Hera sera lancée en octobre 2024, et arrivera à Didymos en décembre 2026 », regrette le directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur, « car si les délégations de l’ESA avaient approuvé la mission à temps, celle-ci prévoyait d’arriver un peu avant Dart sur Didymos, afin de faire les mesures dans les mois qui suivaient l’impact ».
Mais heureusement, « même si nous aurons là quatre ans en retard, les informations récoltées à ce moment-là auront la même valeur et seront fidèles au résultat de l’impact ». La mission Hera, dont Patrick Michel est le responsable scientifique, aurait dû être lancée plus tôt pour suivre en direct la collision entre Dart et l’astéroïde, mais permettra ainsi de recueillir de précieuses informations, même quatre ans plus tard.
D’autres occasions se présenteront pour étudier des objets géocroiseurs. Notamment en 2029, lors de la venue de l’astéroïde Apophis ! « En 2029, il passera à moins de 30 000 km de la Terre, et sera même visible à l’œil nu ! », conclut Patrick Michel. Pour l’occasion, cet astéroïde de 325 mètres et plus de 40 millions de tonnes sera scruté depuis la Terre et l’espace, dans le but d’étudier les conséquences d’un passage aussi près de la Planète, notamment par les forces de marée. Enfin, « la mission Hayabusa 2 effectuera un rendez-vous avec un petit géocroiseur de 60 m de diamètre qui tourne en 10 minutes sur lui-même en 2031, permettant de caractériser un objet de la taille de celui à l’origine de l’explosion au-dessus de la Toungouska le 30 Juin 1908. »