En 2009, la filière nucléaire française avait essuyé un camouflet à Abou Dhabi, quand l’émirat avait choisi le sud-coréen KHNP pour la construction de quatre réacteurs. Et voilà qu’elle vient de subir encore un double échec. La Pologne a préféré l’américain Westinghouse au français EDF pour sa première centrale. « Nous confirmons que notre projet d’énergie nucléaire utilisera la technologie fiable et sûre de @WECNuclear », a annoncé, vendredi 28 octobre, le premier ministre, Mateusz Morawiecki, sur Twitter. Trois jours plus tard, Varsovie et Séoul paraphaient une « lettre d’intention » sur la construction ultérieure d’une autre centrale, dans le centre du pays, par le consortium KHNP.
L’usine de Westinghouse (3 000 mégawatts ; MW), installée près de la mer Baltique, dans le village de Choczewo, doit entrer en service en 2033, si le calendrier du chantier est tenu. Trois autres réacteurs sont prévus sur ce site, et l’on voit mal le groupe américain perdre ce nouvel appel d’offres : le retour d’expérience des premières tranches permet d’améliorer la construction des suivantes, l’effet de série réduit les coûts, et un parc standardisé facilite la maintenance.
Tous ces réacteurs s’inscrivent dans un programme de 6 000 MW à 9 000 MW, estimé à 40 milliards d’euros. Au pays du charbon roi, qui en dépend encore pour 70 % de son électricité, il est urgent de décarboner l’économie pour atteindre, en 2050, l’objectif européen de zéro émission nette de CO2. Mais il est tout aussi impératif d’assurer la sécurité à long terme de ses approvisionnements énergétiques, plus vitale que jamais depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février.
« Partenaire fort »
Il n’est pas étonnant que plusieurs dirigeants américains aient d’abord souligné la dimension politique de ce choix, à l’image du secrétaire d’Etat, Antony Blinken, le 29 octobre : « Les Etats-Unis sont fiers d’être le partenaire fort de la Pologne pour l’énergie et la sécurité. » Ils veulent assurer une « sécurité interdépendante pour les décennies à venir », grâce à leur nucléaire et à leur gaz naturel liquéfié (GNL) – même si une partie de l’uranium des centrales américaines est toujours enrichie par le russe Rosatom.
La défense de l’énergie et la défense tout court ne font plus qu’un : acheter américain « envoie le message clair, à la Russie, que l’Alliance atlantique est unie pour (…) résister à la militarisation russe de l’énergie », a jugé, vendredi, la secrétaire américaine à l’énergie, Jennifer Granholm. Faire le choix des centrales de Westinghouse, du GNL d’ExxonMobil et des avions de combat F-35 de Lockheed Martin relève de la même démarche. Le « made in America » est devenu « America first », pour le plus grand profit de son industrie.
Il vous reste 17.32% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.