En provoquant une baisse de l’espérance de vie sans précédent depuis la seconde guerre mondiale en Europe de l’Ouest, la pandémie de Covid-19 a tragiquement servi de révélateur non seulement à la fragilité des progrès sanitaires, mais à l’inégale efficacité des systèmes politiques et de santé. Les spectaculaires résultats de l’étude démographique internationale publiée le 17 octobre dans la revue Nature Human Behaviour apportent un éclairage indispensable pour tirer les enseignements d’une catastrophe qui a causé plus de 6,6 millions de décès dans le monde, dont 2 millions en Europe.
En dressant un bilan comparatif de deux années de Covid-19 dans vingt-sept pays européens ainsi qu’aux Etats-Unis, les démographes mettent en lumière de profondes inégalités : si les années 2020 et 2021 ont été marquées par un recul de l’espérance de vie dans une grande majorité des pays d’Europe, cette perte sur deux ans a été très limitée en France (1,2 mois) et chez ses voisins (5,7 mois en Allemagne, 7,4 mois en Espagne et en Italie), alors que dans les pays de l’ancien bloc soviétique les chutes ont été vertigineuses : 3,5 ans en Bulgarie et 2,8 ans en Pologne.
Aux Etats-Unis, les résultats sont calamiteux. Non seulement le rythme des décès dus au Covid-19 a été plus rapide, mais les victimes étaient aussi plus jeunes que dans d’autres pays comparables. En deux ans, le pays a enregistré un excès de mortalité estimé à plus de 1 million de personnes, et l’espérance de vie a reculé de 2,7 ans, soit la plus forte baisse de cet indicateur depuis 1920. Ce chiffre, dont la moitié est liée à l’ampleur qu’y a prise la pandémie, et l’autre moitié à la surconsommation d’opiacés, s’explique notamment par des taux d’obésité record, un système de protection sociale déficient et un taux de rappel de vaccination (30 %) moitié moindre qu’en France.
Enseignement majeur de l’étude de Nature Human Behaviour, la corrélation entre la vaccination et une perte d’espérance de vie moins importante est clairement établie par les démographes : les pays dont la population est la moins vaccinée sont aussi ceux où les déficits d’espérance de vie sont les plus élevés.
Défendre la santé publique
Les inégalités portent enfin sur la capacité à retrouver une tendance positive après le recul de 2020. Certains pays, comme la Belgique, la France, la Suisse, l’Espagne, ont regagné plusieurs mois d’espérance de vie. D’autres, comme la Bulgarie, la Grèce et les Etats-Unis, ont continué à en perdre en 2021.
L’ensemble de ces données donne sérieusement à réfléchir, singulièrement en France, où le catastrophisme et la mise en cause des responsables politiques – qui conduit, cas unique au monde, à des poursuites judiciaires visant des ministres – ont longtemps prévalu. Et où les discours antivaccination font toujours florès sur les réseaux sociaux. En réalité, la comparaison internationale réalisée par les démographes place la France parmi les pays ayant le mieux résisté au Covid : faible perte d’espérance de vie et retour rapide au niveau de 2019. L’enquête de Nature devrait alimenter le débat politique.
Ces résultats ne doivent pas faire oublier que 157 000 personnes ont perdu la vie en France du fait de la pandémie (153 000 en Allemagne et 209 000 au Royaume-Uni). Mais, à l’heure du 49.3 sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale et des débats sur l’avenir du système sanitaire, ils confirment la nécessité de défendre et d’améliorer l’organisation de la santé publique qui, comparée à celle de ses voisins, n’a pas démérité.