Œuvres d’art aspergées, routes et aéroports bloqués, événements perturbés… Ces dernières semaines, les militants écologistes multiplient les actions coup de poing. Français, Britanniques ou Allemands… Des activistes expliquent pourquoi ils passent à la vitesse supérieure pour le climat.
En tant qu’amateur de football, Loïc “n’aurait jamais pensé faire une chose pareille un jour”. Pourtant, à la mi-octobre, ce militant écologiste de 32 ans a fait irruption sur la pelouse du Parc des Princes et tenté de s’attacher au poteau du but, interrompant ainsi le classico PSG-OM pendant une minute. Avant d’être interpellé par les forces de l’ordre.
Ce militant du collectif écologiste Dernière Rénovation explique à BFMTV.com ne pas avoir recours à ces actions de désobéissance civile “par plaisir ou par bonté de coeur”.
“J’aime ce sport, mais je prends de moins en moins plaisir à regarder la Ligue 1, car dans quelques années, ça n’existera plus”, a détaillé l’activiste dans une publication Instagram. “On va vers un avenir où (…) les paysages de Provence et les calanques dans lesquels j’ai grandi avec mes meilleurs amis sont voués à disparaître. C’est intolérable.”
“Je ne peux plus regarder ces drames nous foncer dessus sans rien faire”, a-t-il assuré.
“Nous sommes du bon côté de l’Histoire”
Loïc et son collectif n’ont pas choisi de bousculer le Classico par hasard. “Le but c’est de s’emparer de moments médiatiques forts, d’attraper l’attention des gens afin de réallouer ce temps à l’écologie. Or on sait à quel point le foot fait partie intégrante de la vie des Français”, nous explique-t-il.
Ces dernières semaines, des “actions coup de poing” similaires se sont multipliées dans le monde, à l’approche de la COP27 organisée à partir de ce dimanche en Égypte. Des militants écologistes ont ainsi aspergé de soupe Le semeur de Van Gogh, exposé en Italie. D’autres se sont collés sur la vitre protégeant la Fille à la perle de Johannes Vermeer dans un musée aux Pays-Bas ou ont jeté de la purée de pommes de terre sur Les Meules de Claude Monet.
Avant eux, mi-octobre, deux activistes ont dispersé de la soupe à la tomate sur Les Tournesols de Van Gogh de soupe à la tomate, au beau milieu de la National Gallery de Londres. La méthode, très contestée, y compris au sein même des cercles écologistes, a suscité un intense débat à travers le monde.
“Tout le monde en a parlé, c’est exactement ce qu’on cherchait”, répond à BFMTV.com Anna Holland, l’une des jeunes femmes à l’origine de cette action.
“C’est une toile iconique”, explique cette militante de Just Stop Oil, mouvement qui réclame l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures au Royaume-Uni. “Il suffit que deux jeunes lui lancent de la soupe dessus pour que soudain, le monde entier se mette à parler de changement climatique.”
“À tous ceux qui critiquent nos méthodes, je veux juste leur demander de nous montrer ce qu’ils font, s’ils ont un meilleur moyen de se faire entendre par le gouvernement et de faire en sorte que le système change”, réplique la jeune femme.
“On n’a plus le choix”, poursuit-elle. “Je n’ai que 20 ans et les scientifiques prévoient qu’on sera à court d’eau potable d’ici 2040. (…) Alors l’inaction des pouvoirs publics me fait bien plus peur que toutes les retombées judiciaires. (…) On sait que nous sommes du bon côté de l’Histoire, que ce qu’on a fait était juste.”
“Forcer le questionnement politique”
Élodie Nace, porte-parole du mouvement Alternatiba, rappelle que “la désobéissance civile n’est pas un nouveau moyen d’action”. Elle-même militante d’Action non-violente COP21, elle évoque évoque par exemple le démontage du McDonald’s de Millau (Aveyron) mené en 1999 par des agriculteurs, parmi lesquels l’écologiste José Bové. Mais elle estime “qu’il y a eu une réelle montée en puissance de ce moyen d’action ces dernières années, à mesure que la situation s’aggrave”.
“Les rapports des scientifiques montrent que les prévisions vont bien plus loin que ce qu’ils avaient modélisé au départ”, souligne Marc*, militant de 25 ans pour le mouvement Extinction Rebellion interrogé par BFMTV.com. “En France, on commence à être confrontés directement aux conséquences du changement climatique. On l’a vu l’été dernier, c’est effrayant.”
Pour “forcer le questionnement politique” et “mettre le sujet sur la table”, le jeune homme est passé à l’action, vendredi 21 octobre. Avec plusieurs militants, ils se sont collés les mains sur des véhicules Ferrari exposés au Salon de l’automobile, à Paris. “On arrive à un point où si ceux qui sont censés agir ne font rien, ce sont aux citoyens de prendre les choses en main”, défend-t-il. “Même si ça n’est pas sans risque, et ça suscite l’inquiétude de nos proches.”
“À la fois je trouve que ça ne devrait pas être notre rôle en tant que citoyens, mais je pense aussi qu’il serait pire de ne rien faire”, ajoute Loïc.
Lui-même dit avoir beaucoup “cogité” avant de pertuber le match PSG-OM. Les jours précénts ont été “les plus stressants de (sa) vie”. “C’est énormément de pression”, ajoute-t-il. Mais “le gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux, donc c’est dingue mais c’est à nous de prendre des risques pour porter des messages de bon sens et d’alerter la population”.
Un “élan désespéré” qui gagne les scientifiques
Selon Élodie Nace, les militants “ont envie de passer à la vitesse supérieure”: “On a l’impression que désobéir devient nécessaire” car “les petits gestes et les actions individuelles ne suffisent plus.”
“On voit que les pétitions, les lettres ouvertes aux institutions ou aux acteurs économiques” n’ont plus “que très peu d’impact, si ce n’est plus du tout”, poursuit la porte-parole d’Alternatiba. “Aujourd’hui on entre dans autre chose. Beaucoup de militants sont désespérés et donc prêts à aller plus loin qu’avant.”
“Ils sont prêts à prendre davantage de risques et à user de tous les moyens d’action qui sont à leur diposition, y compris leurs corps”, explique la militante.
Aujourd’hui, même certains scientifiques jugent que la pédagogie a fait son temps. Avec une quinzaine d’autres militants, Gianluca Grimalda s’est par exemple englué les mains au sol du musée Porsche de Wolfsburg en Allemagne pour exiger la décarbonisation du secteur automobile outre-Rhin.
“Certains nous prennent peut-être pour des fous, mais je pense que c’est notre devoir d’essayer”, confie ce chercheur en économie et sciences sociales à BFMTV.com. “Je me dis que si même nous, les scientifiques, nous lançons dans dans des actions extraordinaires, certains vont peut-être se réveiller et prendre conscience que la situation est vraiment cauchemardesque.”
L’expérience ne s’est pas déroulée comme prévu pour ces militants du mouvement Scientist Rebellion: les activistes ont été contraints par le responsable du site de rester au sol du musée pendant 42 heures, sans eau, nourriture, lumière, toilettes ni chauffage. À sa sortie, Gianluca Grimalda a dû être pris en charge par des médecins car sa main avait gonflé. Ses camarades – parmi lesquels plusieurs Français – ont été interpellés.
Après les actions non violentes, le sabotage?
Tout comme la militante britannique Anna Holland, Gianluca Grimalda est conscient que ce type d’actions plus radicales divise l’opinion publique. Le scientifique dit avoir “reçu tellement d’insultes après cette action”: “Des mails de haine, des messages sur les réseaux sociaux qui me traitaient de clown, de monstre stupide”, raconte-t-il.
Des critiques qu’ont du mal à entendre les militants écologistes, car tous ceux interrogés par BFMTV.com ont tous affirmé qu’ils mettaient un point d’honneur à leur engagement: ne jamais faire usage de violence pour se faire entendre.
“Oui, ce sont des actions choc”, reconnaît Marc* d’Extinction Rebellion, “Mais nous veillons avant tout à promouvoir une culture du respect de l’autre, et c’est quelque chose avec lequel on ne transige pas. On veut être tout sauf à l’image du système dont on dénonce les travers”, insiste le militant.
En revanche, note Gianluca Grimalda, “les actions de sabotage dont les auteurs ne peuvent pas être facilement identifiés risquent de se démocratiser”.
Et ce pour une raison simple, selon lui: “La répression à l’égard des actions écologistes est de plus en plus violente et préoccupante dans la plupart des pays, même en Europe…” “Que ce soit en Italie, en Allemagne ou en France… Les gouvernements haussent le ton et les peines infligées par la justice sont de plus en plus sévères”, estime le scientifique.
“Ne nous trompons pas de coupable”
Aux Pays-Bas, les deux militants écologistes qui s’en étaient pris à La Jeune Fille à la Perle ont été condamnés mercredi à deux mois de prison, dont un avec sursis. Si aucun dommage n’a été découvert sur le tableau, le tribunal de La Haye a reconnu que le cadre et la plaque arrière ont été abîmés et jugé l’acte “choquant” pour de nombreuses personnes. En Allemagne, les scientifiques impliqués dans l’action au musée Porsche ont été placés en détention provisoire.
“Ne nous trompons pas de coupables”, ont exhorté en réponse près d’un millier de scientifiques dans une tribune publiée sur France Info ce vendredi. “Nous arrivons à un tournant, et il est de moins en moins possible de faire preuve de patience et d’accorder aux décideurs politiques et économiques le crédit de la bonne foi.”
“Le problème n’est pas la protestation, mais l’inaction générale, le désespoir de la jeunesse mondiale dont 3 sur 4 se disent ‘effrayés’ par leur avenir”, conclut leur texte.