Une lettre chiffrée de l’empereur Charles Quint, vieille de près de cinq cents ans, qui dormait dans le fonds des autographes de la bibliothèque Stanislas de Nancy, vient de révéler ses secrets grâce à l’action conjuguée de chercheurs en cryptographie, en informatique et en histoire, qui ont percé son code. Une aventure commencée un peu comme une légende qui lève le voile sur des événements historiques. On y apprend que l’empereur le plus puissant du XVIe siècle redoutait d’être assassiné par un proche de François Ier.
Cécile Pierrot, chercheuse en cryptographie au Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria) de l’université de Lorraine, avait entendu parler d’une « lettre mystère » de Charles Quint, mais, n’en trouvant trace nulle part, a fini par se convaincre que c’était une légende. Fin 2021, avec l’aide de Céline L’Huillier, bibliothécaire à Stanislas, elle met enfin la main sur la mystérieuse missive adressée le 2 février 1547 par Charles Quint, empereur du Saint Empire romain germanique, à son ambassadeur auprès du roi de France, Jean de Saint-Mauris. A cette époque, les relations entre François Ier et Charles Quint sont mauvaises. Ils se livrent à des guerres incessantes, tandis que Charles Quint doit affronter la révolte protestante menée par la Ligue de Smalkalde. Mais, en 1547, l’Europe traverse une période de relative accalmie.
La lettre alterne quelques brefs passages en clair et de longues séquences chiffrées. Spécialiste de la cryptographie moderne, Cécile Pierrot pense qu’elle viendra aisément à bout de ce texte. Les premières analyses statistiques et la classification des symboles ne donnent rien. « Je me suis rendu compte que nous étions en face d’un chiffrement complexe. On n’était pas dans le cas où un symbole égale une lettre », a raconté la chercheuse lors d’une conférence de presse, mercredi 23 novembre, à Nancy. Lancer l’ordinateur et attendre qu’il trouve aurait pris… une éternité.
« Comme entrer dans un nouvel univers »
Deux chercheurs en informatique du Loria, Paul Zimmermann et Pierrick Gaudry, travaillant alors sur la factorisation des nombres entiers, se joignent à l’aventure. La complexité du chiffrage et la portée historique du courrier énigmatique ont servi d’adrénaline. « Participer à cette entreprise était comme entrer dans un nouvel univers. Nous étions déroutés par la langue utilisée, en l’espèce du moyen français, en gros la langue de Rabelais, de surcroît sur un fond historique que nous ne connaissions pas avec précision », explique Paul Zimmermann.
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