Un événement de rupture par effet de marée avec un jet de matières a été observé pour la première fois dans le visible et quatre milliards d’années avant la naissance du Soleil. D’autres événements de ce genre sont donc détectables dans cette bande de longueurs d’onde et devraient nous aider dans un futur proche à mieux comprendre ce qui se passe quand un trou noir supermassif détruit et avale une étoile.
Le télescope spatial James-Webbtélescope spatial James-Webb est sur le devant de la scène en ce moment lorsqu’il s’agit de plonger dans le ciel profond pour observer des objets lointains tels qu’ils étaient il y a des milliards d’années et en particulier moins de 500 millions d’années après le Big BangBig Bang.
Il ne faudrait pas croire pour autant que tout a été observé avec les instruments précédents dans ce ciel profond et que l’on ne peut plus battre des records. Une équipe internationale d’astronomesastronomes vient de publier dans Nature un article annonçant qu’ils ont identifié les caractéristiques du plus ancien événement de rupture par effet de maréemarée (en anglais tidal disruptiondisruption event, TDE) connu à ce jour et que, pour la première fois, on a pu l’observer dans le visible et pas seulement dans le domaine des rayons gammarayons gamma et X. Des scientifiques du CNRS et de l’Institut de radioastronomie millimétrique (Iram) l’ont également détecté avec le radiotélescoperadiotélescope Noema installé dans les Alpes françaises.
AT2022cmc, c’est son nom, s’est produit dans une galaxie il y a environ 8,5 milliards d’années et ses photons sont arrivés sur Terre pour être collectés par une vingtaine d’instruments, dont le spectrographe X-shooter du Very Large Telescope de l’ESOESO qui les a caractérisés dans le visible.
Une vue d’artiste d’un TDE avec jets. © Deutsches Elektronen-Synchrotron
50 ans de Tidal Disruption Event
Rappelons que, même si l’un des premiers astrophysiciensastrophysiciens relativistes à se pencher sur le concept de TDE avait été le légendaire pionnier des trous noirs John Wheeler — qui avait présenté en 1971 le concept de TDE à jets comme « un tube de dentifrice serré en son milieu », ce qui fait que le système « éjecte de la matière par les deux extrémités » –, les premières modélisationsmodélisations poussées des TDE ont été effectuées il y a presque 40 ans par Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet et Brandon Carter, tous deux à l’Observatoire de Paris, à cette époque.
Comme le montrait leur publication déjà dans le célèbre journal Nature en 1982, suivie d’une autre dans Astronomy & Astrophysics en 1983, un TDE se produit avec une étoileétoile dont la trajectoire trop rapprochée d’un trou noir supermassiftrou noir supermassif conduit ses forces de maréeforces de marée à comprimer l’étoile jusqu’à produire ce qu’ils ont appelé une crêpe stellaire à cause de la forme de la déformation causée par ces forces. L’étoile pouvait finir par exploser en réponse et ses débris étaient donc avalés en partie par l’astre compact.
Un TDE se décline en plusieurs versions, à commencer par la formation d’une crêpe stellaire instable qui peut exploser. La matière tombant vers le trou noir supermassif, pouvant déjà contenir de un million à plusieurs milliards de massesmasses solaires, peut ensuite être simplement absorbée par le trou noir ou être partiellement éjectée en formant deux jets. On a détecté plusieurs TDE depuis une décennie, bien que ce genre d’événement soit plutôt rare. Cela permet déjà d’estimer qu’environ 1 % des TDE provoque l’éjection de jets de plasma et de rayonnements depuis les pôles d’un trou noir de Kerr en rotation.
Dans un communiqué de l’ESO accompagnant la publication dans Nature au sujet de AT2022cmc, l’astronome Nial Tanvir de l’Université de Leicester au Royaume-Uni, qui a dirigé les observations visant à déterminer la distance de l’objet avec le VLTVLT, explique que « nous n’avons vu qu’une poignée de ces TDE à jets et ils restent des événements très exotiquesexotiques et mal compris ». Son collègue Giorgos Leloudas, astronome au DTU Space au Danemark et coauteur de cette étude, explique que « parce que le jet relativiste est dirigé vers nous, cela rend l’événement beaucoup plus brillant qu’il ne le serait autrement, et visible sur une plus grande étendue du spectrespectre électromagnétique ».
Des trous noirs supermassifs en rotation très rapide ?
C’est en février 2022 que la première détection de AT2022cmc a été effectuée avec le Zwicky Transient Facility (ZTF), un relevé astronomique du ciel à grand champ utilisant une nouvelle caméra installée sur un télescope du mythique observatoire PalomarPalomar en Californie. Le ZTF permet de donner l’alerte en ce qui concerne des objets transitoires dont la luminositéluminosité change rapidement, tels que les supernovassupernovas et les sursautssursauts gamma.
De fait, AT2022cmc semblait d’abord être un sursaut gamma, peut-être produit par la collision de deux étoiles à neutronsétoiles à neutrons donnant naissance à une kilonova mais c’est finalement le scénario d’un TDE avec jets dont l’un pointait vers nous qui l’a emporté à la suite des observations à différentes longueurs d’ondes réalisées avec 21 autres télescopes.
Nous savons donc maintenant que nous pouvons aussi observer des TDE à jets dans le visible et cela va nous aider à comprendre ce qui se passe quand un trou noir détruit des étoiles et fabrique des jets de matière. À cet égard, on espère des surprises avec le Vera Rubin Observatory qui peut faire ce que fait le ZTF en mieux.
Les astrophysiciens relativistes ne comprennent pas encore pourquoi certains TDE émettent ces jets, alors que d’autres non. L’une des hypothèses avancées serait que les trous noirs associés à ces types d’événements, tournent particulièrement rapidement sur eux-mêmes.
Roger Blandford nous parle des trous noirs supermassifs et de leurs jets dans cette vidéo. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l’écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Quanta Magazine