Pour les personnes victimes d’un accident à la suite duquel elles sont paralysées, la vie en fauteuil roulant devient une fatalité. Pourtant, une association française a mis au point une opération chirurgicale qui leur permet de retrouver des sensations. Zafer a subi cette opération dans le cadre d’un essai clinique en 2019. Il nous raconte comment elle a changé sa vie.
Depuis dix ans, Zafer, un Strasbourgeois de 33 ans, est cloué sur un fauteuil roulant. Un grave accident l’a paralysé du haut du torse, au niveau de la vertèbre T7, jusqu’à la pointe des orteils. Un œdème de huit centimètres dans sa colonne vertébrale empêche les fibres nerveuses d’innerver le bas de son corps. Pourtant, il n’a jamais perdu espoir de remarcher un jour.
C’est dans cet état d’esprit que Zafer a subi une opération hors du commun, mise en point et financée par l’association française Neurogel en Marche. « Ça m’a changé la vie », affirme-t-il. S’il ne remarche pas, Zafer a retrouvé son autonomie et peut désormais se mettre debout seul à l’aide d’un verticalisateur, chose impossible avant son opération en 2019. Avec les 11 autres volontaires, il a participé à un essai clinique de phase 1 en Chine pour éprouver l’innocuité de l’application d’une matrice de graisse activée sur sa moelle épinière blessée. Déjà, les résultats ont dépassé tous les espoirs des patients et de l’association.
La graisse activée pour réparer les colonnes vertébrales brisées
L’association travaille sur ce projet depuis de nombreuses années en collaboration avec des chercheurs du monde entier, notamment ceux de l’université de Milan. Le principe est le suivant : lors d’une opération, une matrice de graisse activée est appliquée sur la blessure médullaire des patients paralysés. Cette graisse est prélevée sur chaque patient par liposuccion puis utilisée pour générer la matrice. « Le système nerveux central est composé à 60 % de tissus gras, un des tissus qui se régénère le mieux dans le corps. Ce n’est pas que de la graisse, mais un milieu complexe qui contient quatre sortes de cellules souches, dont les cellules souches mésenchymateuses. Nous avons décidé de ne pas retirer les cellules souches de la graisse, mais de l’utiliser comme matrice qui supporte la croissance cellulaire », explique Pierre Rondio, secrétaire général de Neurogel en Marche.
L’objectif est que les fibres nerveuses se reconstituent dans la moelle épinière lésée des patients afin qu’ils retrouvent des sensations voire qu’ils puissent à nouveau bouger leurs membres paralysés. Les interventions étaient initialement prévues au Portugal, mais le décès du chirurgien qui a mis en place le protocole opératoire a contraint l’association à revoir ses plans. C’est finalement un centre de réadaptation de Kunming, en Chine, qui a été retenu pour opérer les patients. Les médecins qui y travaillent ont une grande expérience des opérations médullaires pour appliquer le protocole opératoire élaboré par le médecin portugais.
Destination la Chine
Au printemps 2019, Zafer et les six autres Français sélectionnés s’envolent pour la Chine. « On est parti en Chine environ dix jours avant l’opération pour se mettre dans le bain. Nous avons été opérés le dixième jour, puis la rééducation intensive a duré deux ans », se souvient Zafer. Il n’a pas eu besoin d’attendre la fin de la rééducation pour voir son état s’améliorer. « Le huitième jour après l’opération, j’étais déjà en fauteuil à me balader alors que c’était interdit », dit-il. « Il avait la pêche, ça a été une surprise pour nous », confirme Pierre Rondio.
Deux mois après l’opération, Zafer sent « une sensation indescriptible, je me disais que ce qui se passait n’était pas normal, jusqu’à ce que je comprenne ». L’opération lui a rendu sa dignité. « On a une carapace humaine, mais on n’est pas humain. Les gens ne voient qu’un fauteuil roulant. Pour eux, on a des problèmes aux jambes et c’est tout, ils ne voient pas tout ce qu’il y a derrière. L’incontinence et tout un tas d’autres problèmes. Je suis désormais autonome à 100 %. »
Des résultats impressionnants
Zafer a récupéré aussi de la mobilité, complètement paralysé depuis le haut du torse, il n’avait ni l’équilibre ni la force musculaire pour se mettre debout. « Aujourd’hui j’ai tout récupéré, je m’assois sans problème. Je peux tenir debout entre des barres parallèles », raconte-t-il. C’est le fruit du programme de rééducation qu’il a suivi en Chine jusqu’en juin 2021, mais aussi de ses efforts personnels qu’il poursuit avec assiduité depuis son opération. Très sportif, Zafer pratique le basket-ball et fait de la musculation pour s’entretenir. Un mental qui lui permet de progresser encore ; plus de trois ans après l’opération, ses cuisses commencent à se réveiller.
Tous ses amis strasbourgeois en fauteuil sont au courant de son opération et des résultats fulgurants qui en ont découlé, pourtant Zafer déplore que ce genre d’initiative ne les intéresse pas. « Quand on est paralysé, on ne nous dit pas qu’on peut remarcher. En France, on a accès à des centres de réadaptation où on vous apprend à vivre en fauteuil. On ne m’a jamais incité à essayer de remarcher. »
Selon Zafer, ce sont leurs proches qui sont intéressés par l’opération et qui demandent des informations, mais pas les paralysés eux-mêmes. Pierre Rondio confirme « il n’y a pas de communauté de paralysés, ce sont des gens très difficiles à mobiliser ».
“Il y a toujours un espoir”
Pourtant, tous les participants de l’essai clinique ont vu des améliorations plus ou moins importantes. Un patient en chaise roulante seulement depuis un an a même pu marcher avec des béquilles. Mais les personnes concernées s’accommodent à la vie en fauteuil. « C’est bien, tu l’as fait. Mais tu es toujours assis », raconte Zafer en rapportant les mots de ses amis. Un état d’esprit que ne partage pas Zafer et qui souhaite que les personnes paralysées « ne baissent pas les bras. Il y a toujours un espoir ».
Neurogel en Marche souhaite réitérer cet essai clinique avec une cohorte plus importante, car 12 personnes, ce n’est pas suffisant pour en tirer des conclusions solides sur l’efficacité et l’innocuité de la procédure. L’association travaille aussi sur la prise en charge de lésions médullaires aiguës, c’est-à-dire récentes, qui sont beaucoup plus faciles à soigner. « L’opération est à la portée des neurochirurgiens français, il faut juste appliquer la graisse comme un enduit sur l’hématome. » Des tests précliniques sur les rats réalisés par une équipe de scientifiques de Marseille sont en cours.