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la puissance n’est pas seulement une question d’armement, mais aussi de contrôle des céréales »


L’économiste et historien Alesandro Stanziani.

Historien et économiste, Alessandro Stanziani est chercheur au CNRS et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), où il a rejoint le Groupe de recherche en histoire environnementale. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, en anglais et en français, sur l’histoire des marchés et du travail, il milite depuis plusieurs années pour une histoire mondiale et connectée. Spécialiste reconnu de la Russie, il mène aussi ses recherches sur la France et sur l’Inde. Il explore dans son essai Capital Terre. Une histoire longue du monde d’après (XIIe-XXIe siècle) les rapports entre Etat, marché et alimentation.

Pourquoi avoir recours à l’« histoire longue » vous paraît-il important pour penser notre monde présent et futur ?

Le slogan du « monde d’après », apparu pendant la crise du Covid-19, manifeste un besoin profond de repenser le temps historique. Il est courant de dater l’entrée dans l’anthropocène [époque géologique où l’influence des activités humaines est prédominante] vers 1780, avec les machines à vapeur et l’essor du charbon. Il est vrai que l’industrialisation, tout en augmentant les capacités productives, a généré beaucoup de problèmes environnementaux. Mais je remarque qu’un problème à la fois très ancien et fondamental pour l’humanité n’a pas été résolu depuis cette époque : celui de savoir comment nourrir le plus grand nombre. Or, ce n’est pas un problème de production : les prophéties malthusiennes sur le manque de nourriture liées à la croissance démographique, depuis cette époque, ont toujours été contredites. Il s’agit d’un problème de distribution et d’organisation des marchés, c’est-à-dire un problème politique.

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La guerre en Ukraine, qui perturbe aujourd’hui les marchés mondiaux des céréales, doit-elle aussi se comprendre dans une histoire longue ?

Tous les empires dans l’histoire ont pu faire ce constat : la puissance n’est pas seulement une question d’armement, mais aussi de contrôle des céréales. C’est la raison pour laquelle la Russie cherche à mettre la main sur les terres d’Ukraine dès les XVIIe et XVIIIe siècles. Il s’agit d’affaiblir l’Empire ottoman, mais aussi de renforcer sa puissance commerciale. Au moment du blocus continental, sous Napoléon, les Européens se tournent en effet vers elle pour leurs approvisionnements en blé. Mais, à la fin du XIXe siècle, la concurrence étatsunienne va considérablement affaiblir le régime et faciliter la révolution de 1905.

Dans des contextes de guerre, le contrôle sur les céréales passe aussi par le blocage des approvisionnements. En 1933, face à la résistance ukrainienne, Staline réquisitionne les réserves de blé, provoquant des millions de victimes. Cet événement n’est pas isolé. Les famines et disettes « politiques » sont nombreuses aux XIXe et XXe siècles, ainsi en Inde britannique, dans la Chine de Mao ou sous les Khmers rouges, au Cambodge, en 1979.

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Written by Stephanie

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