Il y a une génération, un millier de tortues luths venaient déposer leurs œufs au sein de l’estuaire du Maroni, dans l’ouest de la Guyane. Aujourd’hui, seules dix à vingt femelles fréquentent ce qui était le plus important site de ponte au monde de cette espèce. En vingt ans, la population du plus grand reptile marin a décliné de 95 %. Un effondrement spectaculaire, qui s’explique en grande partie par les prises accidentelles liées à la pêche illégale. Mais d’autres pressions, liées au réchauffement climatique, pèsent sur ces animaux. « Le nombre de mâles et de femelles à naître est fixé par la température du sable, explique Laurent Kelle, le responsable du bureau Guyane du Fonds mondial pour la nature (WWF). Plus la température augmente, plus il y aura de femelles, et l’ensemble de la population risque d’être déséquilibré. Et l’érosion côtière s’accroît. »
L’exemple de la tortue luth illustre à quel point le dérèglement climatique devrait devenir un facteur croissant d’érosion de la biodiversité. Un aspect sur lequel le WWF insiste dans l’édition 2022 de son rapport Planète vivante, publié jeudi 13 octobre, qui montre que les populations de vertébrés ont chuté de 69 % en moyenne en moins de cinquante ans. Selon les spécialistes mondiaux de la biodiversité et du climat, qui ont publié un document conjoint en juin 2021, l’impact du dérèglement climatique devrait surpasser les autres principales menaces pesant sur la biodiversité (changement d’usage des terres, surexploitation, pollutions et espèces invasives) au cours du XXIe siècle, à la fois par ses effets directs et par l’intensification de ses interactions avec les autres facteurs de pression.
Prévisions catastrophiques
« Le réchauffement a eu jusqu’ici un effet direct assez mineur sur la perte de biodiversité, estime Michel Loreau, directeur de recherche au CNRS. Mais les prévisions sont catastrophiques : les espèces vont bouger dans tous les sens à mesure que le climat va changer et vont disparaître, parce qu’elles n’auront plus d’endroit où aller. »
Seules quelques extinctions d’espèces ont pour l’instant été clairement attribuées au dérèglement climatique. Le mélomys de Bramble Cay, par exemple, un petit rongeur vivant sur une île entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, n’a pas survécu à la submersion de son habitat. Mais selon Camille Parmesan, directrice de recherche au CNRS et autrice du rapport conjoint de juin 2021 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le changement climatique est à l’origine de la disparition des populations de plus de mille espèces végétales et animales. L’augmentation des vagues de chaleur et des sécheresses provoque des mortalités massives chez les arbres, les oiseaux, les chauves-souris, les poissons ou les récifs coralliens.
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