Sans eau, tout être humain ne tient pas plus de 3 jours. Cette ressource essentielle à la vie tend pourtant à se raréfier du fait du réchauffement climatique et du dérèglement du grand cycle de l’eau. Le manque de sobriété et de la mauvaise gestion du traitement des eaux usées ne sont pas non plus en faveur de la préservation de cette ressource. Une problématique à laquelle s’attaque InovaYa.
Khaled Al Mezayen l’affirme : il est tombé amoureux du problème qu’il a pu constater autour de la nécessaire préservation de l’eau. Après sa rencontre avec Guillaume Lonchamp et Justine Vidil, en Roumanie, un pays pourtant membre de l’Union européenne, dans lequel 90 % de la population rurale n’a pas accès à l’eau potable, ils ont décidé d’essayer d’y remédier avec InovaYa.
Quelle est votre solution ?
Khaled Al Mezayen : Avec InovaYa, nous voulons préserver cette ressource formidable qu’est l’eau en agissant directement sur deux des quatre principaux usages du petit cycle de l’eau : les besoins domestiques et les eaux industrielles. Dans le monde, 2,1 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable salubre et plus de 80 % des eaux usées ne sont pas traitées et sont rejetées dans la nature. Nous développons donc des stations de traitement pour la potabilisation, l’unYo, conçue pour les communautés rurales et périurbaines de 500 à 20 000 habitants, et des unités de traitement sur mesure pour réduire la consommation d’eau des industries et améliorer la gestion de leurs effluents. Notre innovation : la filtration membranaire avec différents degrés de maillages combinée à une intelligence embarquée qui ne nécessite pas de traitement chimique. Ce processus automatisé permet également de ne pas mobiliser de spécialiste. C’est une solution inédite que nous avons protégée par deux brevets.
En plus de l’apport écologique indéniable, y a-t-il une vertu économique ?
Khaled Al Mezayen : Il est certain qu’en France, l’abondance de l’eau jusqu’à l’été 2022 et son prix dérisoire à 4 euros les 1 000 litres font que l’on a tendance à en abuser et ne pas rechercher des solutions pour en optimiser la consommation. En comparaison, aux Philippines, cette même eau est à 40 euros. Pourtant, en plus de la rentabilité de nos unités de traitement sur le moyen terme, il faut comprendre qu’il va falloir assez urgemment changer de modèle, car la raréfaction des ressources va avoir forcément un impact économique. Par exemple, les arrêtés sécheresse de cet été ont contraint certaines industries à stopper leurs activités, donc leur outil de production. Par ailleurs, le traitement des eaux usées peut représenter un coût non négligeable, surtout s’il est externalisé, du fait notamment du transport des effluents vers les sites de traitement. Avec nos solutions, nous pouvons réduire jusqu’à 90 % la consommation d’eau des industriels et leurs coûts d’au moins 30 %.
Pourquoi votre start-up va-t-elle changer le monde ?
Khaled Al Mezayen : Chez InovaYa, notre objectif est de resacraliser l’eau. C’est pourquoi, il nous semblait important que le nom de notre entreprise s’inspire du nom de la déesse sumérienne de l’eau souterraine, Aya, pour nous rappeler notre mission au quotidien : réinventer le monde de l’eau en adaptant son traitement en fonction de la source et de l’usage par une gestion décentralisée, afin de préserver la ressource en eau pour la rendre accessible à tous. C’est d’ailleurs un des 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par l’ONU : « Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable ». En France, 1 million de personnes n’ont pas un accès pérenne à l’eau potable, pour beaucoup dans les zones rurales. Le pays a d’ailleurs été condamné par l’Union européenne sur sa gestion des eaux usées en milieu rural. Dans le reste du monde, 60 % des ressources en eau sont détenues par moins de dix États tandis que les pays de la « diagonale de la soif », qui va de Gibraltar au nord-est de la Chine, souffrent de ce qu’on appelle le stress hydrique, quand la demande est plus forte que l’offre.
Comment a grandi le projet ?
Khaled Al Mezayen : J’ai apporté mon aide en tant qu’humanitaire dans un camp de réfugiés syriens en Turquie quand la guerre a éclaté dans leur pays. Je me suis aperçu à quel point le sujet de l’eau y était vital. Par la suite, j’ai travaillé pour le secteur de la pharmacie industrielle, qui est un grand consommateur d’eau, mais aussi un des plus polluants et dangereux puisque les rejets contribuent à l’émergence de bactéries multirésistantes du fait notamment des antibiotiques. C’est pour ces raisons que le sujet de l’eau est devenu une évidence lors de ma rencontre avec Guillaume Lonchamp et Justine Vidil. Nous voulions être utiles et nous investir dans un projet porteur de sens avec des effets immédiats. InovaYa est né de là. Nous avons ensuite intégré le programme d’accompagnement de Ticket For Change puis avons été accueillis par le pôle Axelera. En 2019, nous avons été lauréats du Concours Rhône-Alpes de Diversidays puis nous avons obtenu l’agrément Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale. Aujourd’hui InovaYa, c’est une équipe de 20 personnes qui travaille au quotidien sur cette mission.
Quelle est la suite de l’histoire ?
Khaled Al Mezayen : La seconde levée de fonds de trois millions d’euros finalisée cet été va nous permettre d’accélérer notre outil de production et mettre à disposition de nos partenaires, notamment internationaux, une plateforme sur laquelle ils trouveront toutes les informations nécessaires pour concevoir et dimensionner leur projet. L’idée est vraiment d’opérer un transfert de compétences avec nos partenaires locaux et de mieux utiliser la donnée pour améliorer nos process.
Si vous étiez Premier ministre, quelle mesure phare mettriez-vous en place ?
Khaled Al Mezayen : Je ferais en sorte que les entreprises à impact soient favorisées dans la commande publique, car ça obligerait les autres à le devenir. Second levier : des crédits d’impôt pour ceux qui ont réalisé une analyse du cycle de vie de leurs produits qui démontre qu’ils n’ont pas d’impact négatif significatif sur l’environnement. Il faudrait aussi, selon moi, simplifier la gestion politique des questions liées à l’eau qui sont pour le moment réparties entre deux ministères, celui de la Santé et celui de la Transition écologique, mais aussi trouver un meilleur équilibre entre principe de précaution et préservation de l’environnement. Il y a urgence : la France est mauvaise élève de la classe sur les questions de l’eau avec seulement 1 % de réutilisation des eaux usées, contre une moyenne européenne à 3 %.
À quoi va ressembler le monde en 2050 ?
Khaled Al Mezayen : Je crois profondément en l’humain, sa capacité d’adaptation et de résilience. Je pense aussi qu’il y a de moins en moins de climatosceptiques pour contester cette indéniable réalité. Je sais que l’on va s’en sortir, mais pas à quel degré de violence ça va se faire… Plus nous anticiperons et planifierons notre sobriété, plus ça se fera en douceur.
Quel sujet d’actualité de Futura vous a passionné ?
Khaled Al Mezayen : Celui sur le réchauffement climatique. En effet, ces phénomènes vont exercer une influence énorme sur nos vies en augmentant les périodes de canicules, mais également les fortes précipitations. C’est un fait inquiétant car l’Europe sera en première ligne et que nous ne sommes actuellement pas armés pour y faire face. C’est pourquoi avec InovaYa, nous rejoignons des groupes de travail pour faire évoluer le plus rapidement possible les aspects réglementaires, notamment liés au maintien et à la construction des nouvelles infrastructures.