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Elle fait partie des croyances populaires pour lesquelles les preuves semblent inutiles. Dans la même lignée que l’infodémie, qui consiste à croire que la désinformation n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui, croire que nous n’avons jamais autant adhéré à des théories du complot semble aller de soi. Pourtant, le concept d’infodémie est largement questionné dans la littérature en sciences sociales. Des chercheurs en sciences politiques se sont également interrogés sur le discours populaire dominant qui consiste à dire que l’adhésion envers les théories du complot n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. Leur étude, publiée le 20 juillet dernier dans Public Library Of Science One, vient contredire cette hypothèse.
Une croyance partagée
Afin de justifier la nécessité de leur étude, les chercheurs montrent que la plupart (73 %) des Américains croient que les théories du complot sont hors de contrôle et plus de la moitié (59 %) pensent qu’elles sont plus présentes aujourd’hui qu’il y a 25 ans. En France, peu de données existent à ce sujet, mais des enquêtes journalistiques ou encore des créations artistiques montrent que le sujet intéresse de plus en plus. Ce genre d’affirmations se retrouve dans les discours politiques et journalistiques avec d’autres lieux communs comme le fait que les réseaux sociaux et Internet seraient responsables et que nous sommes actuellement dans l’ère de la post-vérité (qui sont des hypothèses très controversées dans la littérature). Pour les auteurs, montrer qu’un pourcentage important de la population adhère aux théories du complot ne suffit pas à répondre à la question susmentionnée. En effet, il faut pouvoir comparer les données à travers le temps. C’est le défi qu’ils ont entrepris en mesurant l’attrait des théories du complot de quatre manières différentes.
Adhésion, conspiration et pensée complotiste
Dans les deux premières études conduites, les investigateurs ont mesuré l’adhésion directe à différentes théories du complot à l’aide de sondages à questions fermées, au sein de la population américaine et européenne. Dans la troisième étude, ils ont évalué la propension des personnes sondées à croire qu’il existait des groupes conspirateurs, sans se concentrer sur des théories du complot spécifiques. Enfin, dans la quatrième étude, ils se sont concentrés sur le mode de pensée complotiste.
Voici ce qu’il faut retenir de leurs résultats. Tout d’abord, sur des échelles de temps courtes (de 7 mois à 1 an), l’adhésion envers des théories du complot sur des sujets d’actualités récents (la pandémie de Covid-19, la mouvance QAnon) ne semblent pas avoir augmenté au sein de la population américaine. En revanche, lorsque l’on se concentre sur d’autres théories du complot sur des échelles de temps diverses (de quelques années à un demi-siècle), il apparaît que l’adhésion envers 6 d’entre elles (dont Big Pharma ou l’assassinat du président Kennedy) ont augmenté sur 37 théories testées (15 sont restées stables et 16 ont montré une baisse de l’adhésion).
Pour les auteurs, ce n’est clairement pas suffisant pour parler d’adhésion généralisée et de réelle augmentation à travers le temps étant donné que la magnitude — la tendance de la baisse ou de la hausse observée — de la baisse d’adhésion est plus importante que celle de la hausse. Du côté de l’Europe, sept théories ont été testées sur des échantillons vastes au sein de plusieurs pays (Italie, Suède, Pologne, Grande-Bretagne, Allemagne et Portugal). La seule qui a montré une légère augmentation est le déni de l’Holocauste en Suède passant de 1 à 3 % d’adhésion. Toutes les autres théories du complot témoignent d’une baisse d’adhésion. Les chercheurs recommandent d’interpréter ces résultats avec prudence étant donné que peu de théories ont été testées.
Concernant l’adhésion envers la croyance qu’il existerait des groupes conspirateurs, bien qu’en valeur absolue (sur neuf groupes conspirateurs, les participants américains ont augmenté leur adhésion envers six d’entre eux), on observe une hausse, lorsque l’on se concentre sur la magnitude, la baisse d’adhésion envers les trois autres groupes est plus forte que la hausse constatée chez les six autres groupes réunis. Ici aussi, il est difficile de conclure qu’une réelle augmentation est observée. Enfin, concernant le mode de pensée complotiste (évaluée par un questionnaire psychométriquement valide), qui constitue peut-être la variable la plus pertinente, on observe une tendance vers la hausse entre 2012 et 2016 mais une stabilité assez nette en général jusqu’en 2021.
Que faut-il en conclure ?
L’adhésion envers les théories du complot constitue un véritable problème de société et il n’est pas question de le nier. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif des auteurs de cette étude. Ils considèrent le travail des chercheurs en psychologie spécialisé sur le sujet du complotisme essentiel. Pour autant, cette croyance généralisée que l’adhésion envers des théories du complot n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui, de paire avec l’infodémie et l’ère de la post-vérité, peuvent avoir des conséquences sociopolitiques, notamment en pointant du doigt un nouveau bouc-émissaire qui n’était pas là avant et qui serait la cause des maux actuels de la société. Pour les auteurs, cette absence d’augmentation générale suggère que l’adhésion envers des théories du complot serait, en quelque sorte, une caractéristique ubiquitaire des sociétés humaines.
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