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Podcast. Comment l’eau que nous buvons affecte notre santé


Elle est vitale. Indispensable à la régulation du climat, au développement de la vie sur la Terre, au maintien des écosystèmes et des populations, à l’agriculture. Elle semble être inépuisable et pourtant… selon l’ONU, près de la moitié de la population mondiale vit dans des zones où l’eau peut manquer au moins un mois par an. Une part qui pourrait presque doubler d’ici 2050. Et l’eau potable voit sa qualité diminuer partout dans le monde, un phénomène accentué par le changement climatique. Comment permettre à chacun de boire à sa soif ? Quel impact l’eau a-t-elle sur notre santé ? Eléments de réponses dans l’épisode 3 de « La fabrique du savoir, saison 2 », un podcast du Monde produit en partenariat avec l’Espace Mendès France de Poitiers.

Au micro de la journaliste Joséfa Lopez, Agathe Euzen, responsable de la Cellule Eau du CNRS et directrice adjointe de l’Institut écologie et environnement (INEE) du CNRS, Massamba Diouf, professeur de santé publique, spécialiste de chirurgie dentaire et des impacts de l’eau sur la fluorose dentaire dans la région du Ferlo, au Sénégal, et Jérôme Labanowski, chargé de recherche au CNRS dans l’équipe E-Bicom, spécialiste des contaminants de l’eau.

Une réserve d’eau, en Afrique.

Quelles problématiques sont liées à l’eau ?

Agathe Euzen : L’eau est vitale. Si on ne boit pas pendant trois jours se pose la question de la durée de la vie. Et c’est valable pour l’ensemble du vivant – les humains, les plantes, les animaux. D’autre part, l’eau est omniprésente sur Terre. La part de l’eau douce est minime, mais elle suffit à satisfaire nos différents besoins. Les questions qui se posent sont donc d’abord celle de la répartition de l’eau, ensuite celle de l’évolution des dynamiques des populations qui vont prélever cette ressource. La croissance démographique, la littoralisation, la densification urbaine et le changement climatique ont une incidence sur la disponibilité de la ressource, mais aussi sur les pressions anthropiques qui vont impacter sa qualité. Tout ceci nous rend très vulnérables. Ces enjeux s’inscrivent donc dans une approche globale et systémique de la Terre et nécessitent un travail pluridisciplinaire.

Jérôme Labanowski : L’eau est à la fois source de fédération pour les gens, mais aussi source de beaucoup de conflits. C’est pourquoi s’intéresser à l’eau revient à s’intéresser à l’homme.

Massamba Diouf : En Afrique, comme ailleurs, l’eau est une priorité de santé publique car elle a un impact sur la santé humaine. Il faut donc se soucier de sa qualité afin d’éviter les maladies.

L’eau est un bien commun. Quel rapport l’être humain entretient-il avec ?

A. E. : On se rend compte de la valeur de l’eau quand on n’y a plus accès. En France, on tourne le robinet, elle arrive, et on ne cherche même pas à savoir où elle s’en va quand elle a été souillée. En revanche, quand on tourne le robinet et que l’eau ne sort plus, ou bien qu’elle sort avec une couleur particulière, on prend conscience de sa valeur. La question se pose différemment quand il faut programmer sa journée en fonction de l’heure à laquelle on espère avoir de l’eau au robinet. Elle se pose encore autrement quand il va falloir passer une demi-heure, une heure pour se rendre au puits, au forage, afin de satisfaire les besoins humains et parfois prioritairement les besoins des animaux. Sachant que ce n’est pas parce qu’on a accès à de l’eau qu’elle est forcément de bonne qualité.

L’Afrique est un continent de paradoxes : il compte 17 fleuves, 160 lacs, de nombreux pays sont bordés par les mers et les océans, et pourtant de nombreux pays manquent d’eau. Et la qualité de cette eau peut entraîner des maladies.

M.D. : En Afrique, et particulièrement au Sénégal, les réserves d’eau sont suffisantes, mais les exploiter demande beaucoup de moyens. Si l’exploitation était faite correctement, on pourrait satisfaire 75 %, ou même plus, des besoins des populations.

J. L. : Concernant les maladies, on compte les maladies diarrhéiques liées à la qualité de l’eau et celles liées aux eaux stagnantes qui permettent la prolifération de moustiques. Produire ou générer une eau de bonne qualité est aussi nécessaire pour éviter le développement de pathologies comme les fluoroses – pathologie qui touche l’émail de la dent – ou encore le cancer des os.

Les résidus de médicaments dans les eaux peuvent, eux aussi, avoir des conséquences sur la santé.

J. L. : On retrouve des médicaments, mais aussi des résidus de produits d’hygiène ou de produits cosmétiques, dans les milieux aquatiques puisqu’ils transitent par les systèmes d’eaux usées jusque dans les rivières. Le problème avec ces molécules est qu’elles sont actives sur le vivant. On parle souvent par exemple de la féminisation des poissons à cause de la pilule contraceptive. On retrouve aussi souvent des restes de paracétamol dans les rivières – l’équivalent d’un quart de cachet de paracétamol dans une piscine olympique. C’est une concentration très faible, ce qu’on appelle de la trace, voire de l’ultra-trace, mais ça nous dit qu’il y a la présence de ces composés-là qui sont actifs dès le premier petit grain présent. Finalement, tous les médicaments qu’on prend, tous les produits cosmétiques qu’on utilise, tôt ou tard, finissent dans ce milieu récepteur.

Outre l’activité humaine, de nombreuses substances sont présentes dans l’eau et ont des conséquences sur la santé humaine…

M. D. : Les roches libèrent un certain nombre de minéraux – comme le fluor – qui vont infiltrer l’eau de consommation des humains. Et à force de la consommer, et donc d’être exposés à ce fluor, on finit par avoir des conséquences sur l’émail des dents. C’est ce qu’on appelle la « fluorose dentaire ». Les dents vont prendre une coloration rougeâtre. C’est très fréquent au Sénégal par exemple. La présence de sodium provenant de roches fossiles pose aussi problème. Sodium dont les concentrations dépassent souvent largement les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Enfin, dans la zone du Ferlo [dans le nord-est du Sénégal], on constate une forte charge en fer. C’est un oligo-élément qui doit être présent dans l’organisme mais seulement à l’état de trace. Au-delà survient l’intoxication.

Le réchauffement climatique a aussi un impact sur la qualité de l’eau. Si une rivière est moins remplie, cela ne veut pas dire qu’elle sera moins polluée.

J. L. : Au contraire, même, puisque moins il y a d’eau, plus la concentration de polluants est élevée. C’est un des spectres qui nous inquiètent avec le changement climatique, outre l’aspect quantitatif. Ce changement perturbe le cycle naturel. Les augmentations de température perturbent l’écosystème aquatique. Apparaissent des microalgues, des cyanobactéries, tous les organismes dont certains ont la capacité de proliférer très vite. Et plus on stresse les bactéries et les virus, plus ceux-ci deviennent virulents, mieux ils se défendent. Ils deviennent alors de plus en plus infectieux.

Un agriculteur arrose ses plants, en Afrique.

Comment obtenir une eau plus saine ?

A. E. : Dans le monde, près de quatre milliards de personnes n’ont pas accès à un service d’assainissement correct. Deux milliards de personnes n’ont pas accès à une eau qui satisfasse la réglementation pour la consommation humaine. C’est gigantesque et ça montre bien l’importance des infrastructures, mais aussi leurs limites. On peut vivre dans une région qui a les pieds dans l’eau, mais sans infrastructures, on n’a pas la disponibilité de la ressource. On parle de dessalement des eaux, mais cela produit une eau qui ne répond pas aux goûts et à la représentation de la qualité qu’on veut obtenir pour l’utiliser. Israël a initié le système de dessalement d’eau de mer et arrive à des coûts de plus en plus acceptables. Mais ensuite, il faut voir comment le réseau est déployé, comment il est intégré à l’aménagement du territoire, comment il est intégré par les différents usagers, et pour quels types d’usages.

Ensuite, quand on n’a pas de système de traitement qui soit structuré, notamment en milieu rural, les populations adoptent des pratiques spécifiques plus ou moins efficaces qui relèvent parfois de croyances. Par exemple, on va mettre de l’eau dans un endroit, dans un canari [un récipient en terre cuite], qui va permettre de préserver une certaine fraîcheur de l’eau, mais aussi l’aider à décanter. Les particules vont tomber au fond et cela va clarifier l’eau de façon évidente. D’autres vont la filtrer avec un bout de tissu.

Etes-vous optimistes sur la question de l’eau en Afrique ?

M. D. : Oui, on peut l’être. Aujourd’hui, 23 % de l’alimentation en eau dans la capitale sénégalaise provient du lac de Guiers, à 250 kilomètres environ de Dakar. Une usine de dessalement d’eau de mer est en cours de construction dans un quartier appelé Mamelles, pour contribuer à approvisionner la capitale. Parallèlement, des dispositifs traditionnels, éprouvés en laboratoire, ont montré des résultats assez satisfaisants du point de vue du goût et du point de vue de la composition physico-chimique. Si de telles pratiques sont vulgarisées, réparties au niveau du territoire, les populations pourront avoir accès à une eau de qualité sans difficultés majeures.

A. E. : Attention toutefois à l’ensemble des enjeux. Il faut accompagner les populations et mesurer l’impact de cette politique sur leur mode de vie, mais aussi d’un point de vue environnemental. Une sédentarisation plus grande, avec des troupeaux, crée par exemple des pressions sur la ressource. Il y a un nouvel équilibre à trouver pour les écosystèmes. Une politique de l’eau, ce n’est pas seulement tirer des tuyaux.

J. L. : En effet, il faut vraiment bien étudier les conséquences d’une action au-delà de son cadre technique. Derrière les problématiques financières, il y a une vraie dimension humaine, culturelle. Je pense notamment au changement de la qualité des eaux qu’on va distribuer à des personnes qui n’ont jamais bu ce type d’eau, qui ont toujours vécu dans un environnement fortement parasitaire, à risque, et qui pourraient perdre leur immunité naturelle. La prise en compte de l’ensemble des paramètres est à la fois stratégique et politique.

Écouter aussi « La fabrique du savoir » s’ancre sur le continent africain pour sa saison 2

« La fabrique du savoir » est un podcast écrit et animé par Joséfa Lopez pour Le Monde. Réalisation : Eyeshot. Identité graphique : Mélina Zerbib. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine. Partenaire : Espace Mendès-France de Poitiers.

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Written by Stephanie

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