La Commission européenne envisage de faire payer les GAFAN pour leur utilisation de la bande passante, fournie en partie par les opérateurs télécoms. Une consultation aura lieu avec tous les acteurs au premier semestre 2023.
La fin d’année sera-t-elle animée par une bataille entre les géants américains et les télécoms européens? En mai dernier, le commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton s’était montré intraitable envers les GAFAN (Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix): ils devront financer les réseaux télécom. “Une poignée d’acteurs occupent à eux seuls plus de 50 % de la bande passante mondiale. Il est temps désormais de réorganiser la juste rémunération des réseaux”, avait-il avancé sur Twitter. Il a depuis nuancé ses propos.
Il “ne faut pas restreindre” ce sujet au seul débat sur une taxation des GAFAN. “Il faut se demander si notre régulation des réseaux, pensée à l’époque de l’ouverture à la concurrence des réseaux de cuivre, est encore adaptée, alors que se profile le metavers et ses flux massifs de données” avait-il ensuite expliqué lors d’une conférence de presse.
Une consultation au premier semestre 2023
Une consultation concernant une contribution des grandes plateformes au financement des réseaux télécoms se déroulera à partir du premier trimestre 2023, durera cinq à six mois et sera suivie de propositions de la Commission européenne. Un débat plus large aura lieu sur la régulation des télécoms, rapporte Reuters.
“La bataille s’annonce féroce”, prévient la députée européenne Stéphanie Yon-Courtin (Renew), interrogée par Tech & Co. “Cet enjeu est vieux de dix ans. Nous avons besoin de transparence sur l’argent qui est investi par les GAFAN et les télécoms dans le réseau: qui devra payer quoi?” se demande-t-elle.
Depuis le printemps, la Commission européenne étudie la possibilité de rédiger une proposition législative qui obligerait ces cinq géants à contribuer à l’infrastructure Internet. Les télécoms cherchent à négocier avec les fournisseurs de contenus, dans un système semblable à celui des droits voisins.
Les gouvernements français, espagnol et italien ont exprimés leur position en faveur d’une telle proposition.
Respecter la neutralité du Net
Dans une lettre signée par une cinquantaine de députés européens de tous bords dont les Français Valérie Hayer (Renew), François-Xavier Bellamy (LR) et Stéphanie Yon-Courtin, envoyée à la vice-présidente exécutive Margrethe Vestager, et à Thierry Breton, les parlementaires appellent à définir une contribution “proportionnée” des GAFAN au financement des infrastructures télécoms.
“L’idée d’avoir une contribution juste des GAFAN envers les plateformes”, martèle Stéphanie Yon-Courtin, sans jamais parler de taxes. Reprenant les arguments de Thierry Breton, elle insiste sur le fait que “cette contribution doit refléter notre utilisation actuelle de l’Internet”. L’objectif de cette contribution sera aussi d’accompagner le déploiement de la 5G d’ici 2030 et d’en finir avec les zones blanches.
L’autre enjeu de cette bataille sera de respecter la neutralité du Net. Ce concept, aussi vieux que le Web lui-même, implique que les opérateurs proposent un accès égal (et à la même vitesse de connexion) à l’ensemble des services en ligne. Cette règle empêche ainsi un fournisseur d’accès à Internet de ralentir volontairement l’accès de ses abonnés à certains services jugés gourmands en flux de données.
Des infrastructures appartenant aux GAFAN
Lors du visionnage d’une vidéo sur Youtube ou d’une série sur Netflix le flux passe par la bande de l’opérateur, mais également par des serveurs installés localement par les GAFAN. Pour disposer de leurs propres infrastructures en complément du réseau existant, les plateformes installent depuis plusieurs années des serveurs locaux: Netflix compte ainsi 40 centres de serveurs, partout en France, contre une centaine pour YouTube.
Cette infrastructure permet par exemple à Netflix de sauvegarder l’ensemble de ses contenus sur chacun des 40 emplacements, afin d’accélérer le flux vers ses abonnés, mais également de ne pas faire transiter les données à travers toute la France à chaque visionnage.
Etno, le lobby des télécoms européens, a publié une étude en mai dernier et reprise par Le Monde: “les opérateurs auraient investi 500 milliards d’euros en dix ans dans les réseaux européens. La bande passante des géants du numérique leur coûterait 36 à 40 milliards par an”.
Selon Stéphanie Yon-Courtin, la compétition entre télécoms et GAFAN est asymétrique: “les opérateurs ne sont pas en mesure de négocier seuls”. La Comission envisage donc de limiter la contribution aux plus grosses entreprises en fonction du pourcentage de leur utilisation du réseau. La députée européenne reconnaît qu’il y a déjà une contribution de la part des plateformes à travers leur serveurs implantés sur le territoire mais le tout “est d’évaluer si celle-ci est assez juste”.
Les GAFAN se défendent
Pour Christian Borggreeen, Vice Président de CCIA Europe, le lobby des grandes entreprises du numérique, la logique suivie par la Commission européenne entrainerait une double facture pour les consommateurs: l’une par les opérateurs, ainsi qu’une seconde, par le biais d’une hausse des abonnements à Netflix en raison de ces nouvelles obligations financières.
“Soyons clairs, les télécoms veulent essentiellement que les utilisateurs en Europe paient deux fois. Directement pour l’accès à internet, comme ils le font déjà aujourd’hui. Et indirectement, en rendant les services en ligne, comme l’abonnement à Netflix ou l’utilisation du cloud, plus chers”, a-t-il déclaré la semaine dernière, lors de la WIK Conference rassemblant tous les grands acteurs institutionnels du numérique.
Forcer les GAFAN à passer avec les opérateurs des accords commerciaux pose aussi une question: cela ne va-t-il pas les pousser à demander en échange un débit garanti ou accéléré et reléguer les autres producteurs de contenu dans un Internet de seconde zone?