Faut-il lui dire « father » (« mon père »), comme à un curé français ? La question amuse Sandrine Simmons, la gestionnaire de St Barnabas, une église datant du XIXe siècle, située en face du parc Clapham Common, dans le sud-ouest de Londres. « Appelez-le Richard. » Le prêtre de 48 ans a tout du hipster, barbe bien taillée, boucle d’oreille discrète, jean et chemise à pois fermée par un col romain. Il s’affiche républicain, mais il a accueilli la peine de ses paroissiens, surtout les plus âgés d’entre eux, quand la reine est morte. Comme un devoir.
Dimanche 18 septembre, à 18 heures, veille de funérailles mondiales pour Elizabeth II, à Westminster, Richard Taylor a même organisé une petite cérémonie « de souvenir et d’actions de grâce ». Alors qu’il dit habituellement la messe en civil, il a revêtu une aube blanche, celle de son père, faite autrefois sur mesure, avec de larges manchettes, surmontée d’une étole noire. « C’est une chance, nous avions la même taille », dit-il, en souriant, avec une émotion retenue. La liturgie, classique, débute cependant par la projection du dernier discours de Noël de la reine, en décembre 2021, dont le ton très personnel avait frappé, quelques mois après le décès de son mari, Philip.
« Cette planète tombe en morceaux »
La maigre assistance se disperse, la nuit tombe, quelques gouttes font leur apparition. Il y a quelque chose d’un peu absurde dans cet interminable encensement. Le 9 septembre, au lendemain du décès, Richard Taylor a suivi les consignes de l’Eglise anglicane. Il a sonné la cloche pendant une heure, toutes les dix secondes, assisté de son fils de 18 ans, portable en main sur la fonction chronomètre. Le son devait être muffled, c’est-à-dire étouffé par une gaine sur le battant. Pendant deux jours, il s’est rendu disponible.
« Christopher, qui a 81 ans, est venu dès l’ouverture. Il était en classe quand George VI est mort, en 1952. Les écoliers criaient partout : “Le roi est mort !” » Il a prêté une oreille attentive à ses souvenirs. Une femme est restée une heure et a beaucoup pleuré – « Il y avait sans doute d’autres chagrins dessous », suggère le prêtre. Sa mère de 82 ans, ajoute-t-il, a probablement pleuré aussi.
Mais le sujet le passionne beaucoup moins que la sauvegarde de la planète. « Quand on a la foi, dit ce prêtre charismatique, on ne peut pas ignorer que cette planète tombe en morceaux. » Dieu a mis l’homme dans un jardin, à charge pour lui de l’entretenir, comme le résume une paroissienne. A la messe de 11 heures, dimanche, dans une église remplie de fidèles, il était d’ailleurs surtout question de cela, à mille lieues, ou à des siècles, d’un rite catholique français. Un contraste saisissant, aussi, avec une solennité monarchique venue du fond des âges. Sur deux écrans latéraux, chacun peut suivre la liturgie pas à pas.
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