Peut-on faire confiance aux entreprises pour mener le combat contre le dérèglement climatique ? Pour plusieurs élèves d’AgroParisTech, de Sciences Po ou de Polytechnique, la réponse est non. Un désaveu qui intervient dans un contexte où les convictions écologiques de nombreux dirigeants ont varié comme les cours de la Bourse. Notamment dans la finance.
En début d’année, le patron de Blackrock [Larry Fink] promouvait, dans le cadre de sa lettre annuelle, un capitalisme des parties prenantes et attendait des entreprises qu’elles jouent « un rôle dans la décarbonation de l’économie mondiale ». Cinq mois plus tard, changement radical de discours : « Ce n’est pas au secteur privé de jouer le rôle de la police de l’environnement. »
Même scepticisme de la part du désormais célèbre Stuart Kirk, ex-directeur des investissements responsables de HSBC : « On me dit de passer mon temps à examiner quelque chose qui va se produire dans vingt ou trente ans. C’est complètement disproportionné. » Si ces propos ont été abondamment commentés, ils n’ont pas suffisamment été décrits pour ce qu’ils sont : une faute morale doublée d’une erreur stratégique.
Un sentiment de sécurité trompeur
La finance joue un rôle unique dans la compétitivité et la richesse d’un pays. Elle gère les risques, l’allocation de l’épargne et une partie du développement. A cet effet, elle est indispensable à la transformation écologique des entreprises. En Europe, par exemple, la finance flèche prioritairement les investissements vers les activités soutenables pour permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050.
Mais quand certaines de ses incarnations les plus éminentes euphémisent l’urgence climatique et prennent leur distance par le verbe – dans un premier temps – avec des mesures qui visent à créer une finance durable, elles manquent à leurs devoirs et forgent une réalité parallèle dans laquelle le risque climatique n’est qu’une « possibilité ». Prenant ainsi le risque d’une déresponsabilisation de certaines de leurs parties prenantes.
Ces figures de la finance ressemblent à Wallace Hartley (1878-1912), le chef d’orchestre du Titanic, et à ses musiciens. Alors que le paquebot faisait naufrage après avoir heurté un iceberg, les instrumentistes ont continué de jouer jusqu’au bout créant, selon les historiens, un sentiment de sécurité qui a poussé les gens à ne pas quitter le navire à temps.
Rebattre les cartes du jeu concurrentiel
En promouvant le scepticisme, Fink, Kirk et les autres vont à contre-courant de l’histoire. Si le secteur de la finance reste dominé par les actifs traditionnels, sa déclinaison verte enregistre la plus forte croissance. Dans son rapport d’avril, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) démontrait la surperformance des fonds à critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), sur l’année 2020.
Il vous reste 48.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.