Qui dit méga-acquisition, dit longue procédure juridique et forte exposition médiatique. Cette semaine, le procès lié au projet de rachat à 2,2 milliards de dollars de la maison d’édition américaine Simon & Schuster par sa rivale Penguin Random House – qui avait raflé la mise au nez et à la barbe de Hachette, HarperCollins ou Rupert Murdoch à la fin de l’année 2020 – a démarré outre-Atlantique. Il oppose le groupe Bertelsmann (propriétaire de Penguin Random House) au département américain de la Justice qui a déposé une plainte, en novembre, afin de bloquer cette opération pour des raisons concurrentielles.
Se déroulant à Washington et devant s’étaler sur près de trois semaines, ce procès va allouer 72 heures à l’exposition des arguments : 38 heures sont octroyées au gouvernement et 34 heures à la défense. Le casting est de haute volée. Vont se succéder à la barre du tribunal les patrons des principales maisons américaines d’édition, des agents littéraires de renom, mais aussi des auteurs de best-sellers. Mardi, Stephen King (« Shining », « Ça », « Carrie ») est venu, en personne, témoigner contre le rachat du numéro quatre du secteur américain de l’édition (Simon & Schuster) par le leader (Penguin Random House), craignant que cela joue à la baisse sur les montants des à-valoir versés aux auteurs.
« Ce serait comme si [dans le cas où la fusion obtiendrait le feu vert des autorités, NDLR] un mari et sa femme surenchérissaient l’un contre l’autre sur le prix d’une maison. C’est un peu ridicule […] La consolidation est mauvaise pour la compétition, a affirmé l’écrivain qui est actuellement édité par Simon & Schuster. Cela fait environ 50 ans que je suis dans le commerce des livres. Quand j’ai commencé, il y avait littéralement des centaines d’éditeurs. Un par un, ils ont été avalés par d’autres ou ils ont mis la clé sous la porte […] il est devenu de plus en plus dur pour les écrivains de trouver assez d’argent pour vivre. »
Près de la moitié des droits des futurs best-sellers
Un argument qui est l’angle d’attaque principal du département de la Justice, redoutant lui aussi que les avances versées aux auteurs fondent comme neige au soleil, tout particulièrement celles des écrivains à succès. D’après les estimations du gouvernement américain, l’ensemble consolidé Penguin Random House – Simon & Schuster représenterait près de la moitié des droits des futurs best-sellers qui pèseraient, eux, pour 70 % du milliard de dollars d’à-valoir versé, en moyenne tous les ans, aux écrivains américains.
Dans le camp d’en face, le représentant de Penguin Random House a, lui, rétorqué que le département de la Justice mettait l’accent sur une « partie très restreinte du marché » en se focalisant sur les avances allouées aux auteurs de best-sellers. Devant la juge Florence Pan, l’avocat Dan Petrocelli a également soutenu que le marché des droits des écrivains à succès ne se limitait pas au seul « Big Five » (comprenant aussi Hachette, HarperCollins et Macmillan), et que plus de 30 autres éditeurs américains étaient aussi de la bataille pour signer les auteurs pouvant prétendre à au moins 250.000 dollars d’avance par livre.
En France, Vivendi s’est résolu à vendre Editis
Pour l’heure, les débats se portent peu sur la part de marché cumulée des deux groupes qui tournerait autour de 30 % outre-Atlantique. Un niveau élevé mais pas nécessairement suffisant pour être un frein majeur à un rapprochement. En France, c’est cet aspect qui a tout particulièrement incité Vivendi à finalement mettre à la vente Editis (le numéro deux du marché hexagonal), quelques semaines après avoir mis la main sur Hachette, le numéro un tricolore. Consolidées, les deux entités auraient pesé 45 % du secteur de l’édition.
Le groupe contrôlé par la famille Bolloré a considéré que le montage ne passerait pas l’obstacle de l’antitrust bruxellois et a même renoncé à essayer d’intégrer quelques belles maisons d’Editis à Hachette, afin de boucler au plus vite l’opération. La raison ? Vivendi veut avant tout se focaliser sur le développement d’Hachette (numéro trois mondial) à l’international, ce qui se traduira par des opérations de croissance externe. Autant dire que si les autorités américaines de la concurrence retoquent la méga-acquisition de Simon & Schuster, la firme française devrait vite se repositionner sur le dossier.