Comment diable François Mitterrand s’est-il laissé embobiner par Silvio Berlusconi ? Le Tout-Paris du PAF (paysage audiovisuel français) est en ébullition. En cet automne 1985, la bronca bat son plein. Comment le « Florentin » Mitterrand a-t-il pu décider d’offrir sur un plateau un canal hertzien à « Sua Emittenza » (son surnom italien, mélange d’éminence et d’émetteur), le roi milanais de la télé-paillettes ? Selon Jacques Attali, c’est le patron du Parti socialiste italien, Bettino Craxi, qui a soufflé à Mitterrand le nom de Berlusconi pour devenir le futur partenaire de Jean Riboud, puis de Jérôme Seydoux, en vue de lancer La Cinq, la première chaîne de télévision française. Une aubaine pour le président au moment où il cherche à renforcer le pluralisme au sein du PAF. Il y a urgence. Le placement de La Cinq entre des mains « amies » doit éviter que l’opération ne revienne à la droite, en position favorable à la veille des élections de mars 1986.
Mitterrand ne déteste pas l’idée d’introduire le « Tapie italien » dans le marigot du PAF franco-français. Mais Jack Lang grimpe au rideau. Même Jacques Rigaud, le très placide président de RTL, fulmine et manie l’ironie avec cruauté. « Mon cher Jack, c’est donc Berlusconi qui fera la télévision privée en France. […] Son attachement à la création et à la sauvegarde des intérêts légitimes du cinéma ne sont plus à démontrer. Je pense qu’avec lui tu auras beaucoup moins de mal qu’avec de vils commerçants comme nous [RTL] pour faire prévaloir les valeurs culturelles dans une télévision privée. » Le cinéaste Bertrand Tavernier décide même de renvoyer à Jack Lang sa médaille de chevalier des arts et lettres, qui lui avait été remise par le ministre de la Culture quelques mois plus tôt. La tension est telle que le président doit se fendre d’une longue lettre manuscrite à son ministre de la Culture. « Cher ami, cessons de vivre sur les nerfs [traduisez : cessez de me casser les pieds… NDLR]. Je ne veux la mort de personne, et pas du tout celle du cinéma. Plus simplement, il faut que ce dernier compose et qu’au lieu de s’accrocher à un passé qui, lui, ne le ratera pas, il s’adapte aux conditions nouvelles d’expression et de concurrence. C’est ce qu’a fait le cinéma américain dont vous soulignez la vitalité […] Vos prévisions ne sont pas les miennes : ce n’est pas un péché « mortel ». Mais quand le choix est fait, mieux vaut avancer sans trop regarder derrière soi. » (1)