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A moins de trois mois de la Conférence de l’ONU sur le changement climatique (COP27) à Charm El-Cheikh en Egypte, le Gabon accueille depuis lundi 29 août et jusqu’au 2 septembre la Semaine africaine du climat, qui rassemble près d’un millier de représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG et du secteur privé de plus de cinquante pays africains.
Tous appellent à mettre fin à l’« injustice climatique », rappelant que l’Afrique, bien que responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de CO2, est le continent qui paie le plus lourd tribut au réchauffement climatique. Pour Arona Diedhiou, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et codirecteur du laboratoire mixte international NEXUS sur le changement climatique et ses impacts, basé à Abidjan, l’Afrique doit en profiter pour « coordonner ses stratégies et ses priorités » en amont de la prochaine COP.
Que peut-on espérer voir sortir de cette Semaine du climat à Libreville ?
Arona Diedhiou C’est une étape essentielle pour la réussite de la prochaine COP27 en Egypte. Elle doit donner à l’Afrique l’occasion de coordonner en amont ses stratégies et ses priorités dans la lutte contre les effets du changement climatique, au moment où ceux-ci pourraient être aggravés par les crises énergétiques et alimentaires qui s’annoncent avec le conflit en Ukraine.
Malheureusement, la communauté scientifique africaine ou travaillant sur l’Afrique sur ces thématiques est faiblement impliquée dans cette édition, alors qu’elle pourrait apporter toutes les preuves de la part du changement climatique dans la vulnérabilité du continent, proposer des pistes sur le traitement des pertes et dommages et contribuer à établir objectivement quelles seront les stratégies d’adaptation ou de développement sobre en carbone pertinentes pour les différents pays d’Afrique. Pourtant, cette communauté scientifique existe et elle est de plus en plus représentée au niveau du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
Le continent africain est à la fois le plus faible pollueur et la première victime du changement climatique. Comment remédier à cette « injustice climatique » ?
La prochaine COP27 doit être l’occasion pour l’Afrique de reprendre la main, afin d’obtenir des engagements fermes pour un arrêt des émissions dans les pays riches à des horizons réalistes. La période est favorable puisqu’avec les événements extrêmes climatiques qu’ont connus cet été l’Europe et les Etats-Unis, et même la Chine, l’opinion publique dans ces pays est prête à mettre les décideurs en face de leurs responsabilités. En même temps, je crains qu’avec la crise énergétique qui s’annonce, ces pays se replient sur les énergies fossiles.
Le secrétaire exécutif par intérim de l’ONU Climat, Ibrahim Thiaw, affirmait en amont du sommet de Libreville que « le continent peut être une source de solutions à la pire crise environnementale à laquelle le monde est confronté ». Partagez-vous ce point de vue ?
D’habitude, quand on parle du changement climatique en Afrique, on n’évoque que les problèmes. C’est une approche nouvelle de l’aborder en termes d’opportunités, d’innovations, de solutions inclusives, à la fois pour les populations africaines et pour le monde ! Il y a notamment l’énorme potentiel de terres qui peuvent être restaurées et aménagées pour la séquestration du carbone, le captage du surplus des eaux de pluie qui peut être utilisé en saison sèche pour une agriculture durable garantissant la sécurité alimentaire, et la production en énergies renouvelables ou en hydrogène vert pour répondre aux besoins locaux et même à ceux d’autres continents.
Sur le plan scientifique, c’est possible, mais il faut soutenir le leadership africain dans la lutte contre le changement climatique, avec des investissements stratégiques durables. Prenons par exemple l’initiative « 4 pour 1000 », initiée par la France en amont de la COP21 [en 2015]. Elle met l’accent sur l’agriculture, avec de l’agroforesterie et des pratiques agricoles adaptées aux conditions locales qui contribuent à augmenter à la fois la teneur en matière organique des sols, la séquestration du carbone et les rendements.
Mais par manque de volonté politique et de financements, la mise à l’échelle de cette initiative est ralentie. Son adoption en Afrique pourrait pourtant répondre à la crise climatique mondiale et aux besoins des populations en termes de sécurité alimentaire et de préservation des terres et des écosystèmes.
Quelles actions climatiques en cours sur le continent ont déjà porté leurs fruits ?
Il y en a un certain nombre, mais elles sont toutes très localisées. Ces dernières années, il y a eu plusieurs projets de centrales solaires ou géothermiques et de parcs éoliens. Des pays côtiers ont mis en place des projets locaux de restauration de la mangrove et de protection des zones côtières, et plusieurs centres nationaux africains de recherches agricoles ont développé, dans le cadre de partenariats internationaux, des variétés de cultures résilientes au changement climatique. Dans le domaine de l’écotourisme et pour la préservation la biodiversité, beaucoup d’initiatives locales positives ont essaimé un peu partout en Afrique : au Rwanda, en Ouganda, au Gabon, Congo-Brazzaville, au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
Durant la dernière COP15 de la convention sur la désertification qui a eu lieu en 2022 à Abidjan, le projet de la Grande Muraille verte a aussi montré çà et là des expériences positives et encourageantes d’agroforesterie, de reboisement et de restauration des terres avec des bénéfices avérés pour les populations et leur résilience climatique, mais les ressources sont encore difficilement mobilisées pour une mise à l’échelle.
Une autre innovation qui fonctionne en Afrique, et dans laquelle l’IRD est fortement engagé, est le développement et la dissémination des services climatiques. Communiquer les prévisions météorologiques et saisonnières, envoyer des alertes par radio, télévision ou par SMS est devenu une pratique courante dans la plupart des pays africains, qui contribue à la réduction de la vulnérabilité face au risque climatique.
Qu’attendez-vous de la réunion du 5 septembre à Rotterdam sur l’adaptation au changement climatique de l’Afrique, où sera publié un rapport sur le manque de financement pour couvrir ces besoins ?
Cette réunion devait permettre de faire le point sur les engagements pris à la COP26 à Glascow et d’affiner, avant la COP27, les priorités et les futurs engagements de mobilisation des ressources. Malheureusement, peu de chefs d’Etat européens envisagent de faire le déplacement à Rotterdam, malgré la présence annoncée de sept présidents africains dont celui du Sénégal, président en exercice de l’Union africaine, du Kenya, de l’Ethiopie, du Ghana, du Gabon, de la RDC et de la Zambie.
Il semble même que la Commission européenne sera représentée par le vice-président exécutif en charge du Green Deal, alors que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, était attendue. Comment faut-il comprendre cette désertion, devant des présidents africains qui souhaitent réussir leur COP ? On peut s’attendre à des négociations difficiles à Charm El-Cheikh et il est important que le groupe africain de négociateurs soit bien préparé. Car, en effet, ce n’est pas gagné !