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Comment le cerveau gère la peur ? Une étude chez les souris nous en apprend plus



Dans le paradigme fonctionnaliste des neurosciences – largement répandu aujourd’hui -, on doit pouvoir rendre compte des différents états de conscience en partant du neuroneneurone comme cause explicative car les états physiquesphysiques et les états mentaux sont une seule et même entité. Parmi ces états de consciences, la peur est extrêmement étudiée depuis plus d’un demi-siècle. Les expériences pionnières sont celles de John Downer ou encore de Joseph LeDoux, deux chercheurs américains qui démontrent la place centrale occupée par l’amygdale dans la survenue de comportements stéréotypés face à des stimuli dangereux et son rôle dans la formation de souvenirs aversifs.

Valérie Doyère, directrice de recherche de l’équipe Mémoire, Émotion et Temps à l’Institut NeuroPSI de l’Université Paris-Saclay et CNRS, revient sur la formation de cette littérature, aujourd’hui abondante :  Il y a eu un long débat dans la communauté scientifique qui portait sur la question de savoir si la formation de la mémoire acquise aversive était réalisée par l’amygdale ou par des structures au niveau thalamique. Aujourd’hui, la littérature penche en faveur de l’amygdale même si une vision trop centrée sur la structure est probablement trop simpliste. À l’instar des sens, la mémoire est multimodale, elle a besoin de plusieurs éléments pour se former. L’idée de plus en plus prégnante est que ce sont probablement des interactions entre plusieurs structures qui sont à l’origine du phénomène ».

Récemment, une nouvelle étude parue dans la revue Cell Reports apporte de nouveaux éléments à cette littérature en démontrant l’existence d’un circuit neuronal central dans la survenue de comportements stéréotypés aux stimuli aversifs et dans la formation de la mémoire aversive. Mais, avant d’expliquer les tenants et les aboutissants de cette recherche, il faut préciser que, malgré l’obsession de la littérature scientifique pour la sensation de peur, l’amygdale est également associée à la transmission de stimuli neutres et positifs : « Dans la dynamique centrée sur la structure, on a eu tendance à penser que l’amygdale était uniquement associée au traitement des stimulis aversifs tandis que d’autres structures, comme le noyau accumbens du striatum, étaient plus associées au plaisir et à l’appétence. Pourtant, les recherches actuelles ont tendance à montrer que cette segmentation est simpliste et ne rend pas compte des particularités mises en évidence par les expériences. On retrouve de l’aversif dans les structures habituellement associées au plaisir et vice-versa », explique Valérie Doyère. 

Ce que nous savions déjà à propos de l’amygdale et de la peur

Comme tous travaux scientifiques, cette expérience s’intègre dans un corpus de données déjà connues. Jusqu’à présent, la recherche avait bien caractérisé les neurones — ce sont les neurones CGRP pour Calcitonin Gene related Peptide — qui se projettent dans les différentes régions anatomiques de l’amygdale (notamment sa partie centrale, striatale et latérale). De plus, les circuits cérébraux entre des zones thalamiques postérieures telles que le noyau parvocellulaire et les régions anatomiques de l’amygdale susmentionnées, étaient déjà connues.

Fort de ces éléments, les auteurs de l’étude vont vouloir ajouter une pierre à cet édifice en caractérisant histologiquement et anatomiquement ces liens : « Cette expérience est réalisée dans l’objectif de montrer que deux circuits du thalamus et du tronc cérébral qui projettent vers l’amygdale centrale et latérale forment deux réseaux parallèles selon les stimuli sensoriels impliqués dans la survenue de comportements aversifs stéréotypés », précise Valérie Doyère.

L’apport de cette recherche : L’amygdale comme centre de traitement des signaux aversifs

En premier lieu, cette expérience démontre — en utilisant des techniques d’imageries calciques qui témoignent du fait qu’un neurone vient de décharger et des lignées de souris génétiquement modifiées pour exprimer une protéine fluorescente — que les fameux neurones CGRP (dans deux régions distinctes, la partie sous-fasciculaire du noyau parvocellulaire du thalamus et le noyau parabrachial latéral externe du tronc cérébral) sont bien activés par différents stimuli sensoriels aversifs (choc électrique, forte lumièrelumière, fort son, odeur nauséabonde et goût déplaisant) : « L’avantage de cette technique d’imagerie par rapport aux anciennes méthodes est que l’on obtient une individualisation spatiale des structures au sein desquelles les neurones en question s’activent. Grâce à cela, on peut aller voir spécifiquement si des amas de cellules spécifiques réagissent ou non à tel ou tel stimulus. Une chose intéressante dans leur découverte est que l’on constate que la majorité des neurones répondent à plusieurs stimuli différents. Cela est intéressant dans la mesure où cela suggère que des associations entre stimuli aversifs peuvent potentiellement se produire au niveau cellulaire », détaille Valérie Doyère.

Dans un deuxième temps, les scientifiques mettent en évidence les connexions existantes entre ces populations de neurones CGRP et les relais sensorielles grâce à une méthode astucieuse bien que largement utilisée dans ce domaine de recherche : « Ils injectent un virusvirus avec un marqueur fluorescent à un endroit précis qui va être capté par le côté pré-synaptique du neurone et qui a la capacité de remonter le circuit neuronal dans le sens inverse. À l’aide de méthodes immunologiques-histo-chimiques, on pourra ensuite visualiser, chez l’animal mort, les neurones d’origine fluorescents qu’a marqués le virus en effectuant son trajet à rebours du sens usuel, » développe Valérie Doyère.

Ensuite, les chercheur inhibent l’expression des neurones CGRP et montrent que, selon les régions dans lesquelles les populations de neurones sont désactivées, les rongeursrongeurs ne manifestent plus certains comportements stéréotypés face à certains stimuli aversifs : « L’expérience montre que la localisation des neurones CGRP revêt une importance dans le caractère aversif des stimuli. Malheureusement, on ne sait pas si le stimulus n’est plus transmis du tout de fait de la désactivation des neurones ou si la transmission du stimulus est toujours effective mais ne comporte plus la composante aversive », pointe Valérie Doyère.

Cela vient conforter l’idée du circuit parallèle avec des stimuli dominants pour certains amas de neurones. Pour s’assurer de ce point, les investigateurs ont également inhibé les afférences des neurones provenant des deux régions dans l’amygdale centrale et latérale. Les résultats obtenus sont concordants et montrent bien qu’un circuit parallèle existe à une nuance près : « On sait que l’amygdale latérale projette aussi dans l’amygdale centrale et l’amygdale centrale projette en retour au noyau parabrachial du tronc cérébral. Donc, ce circuit parallèle se rejoint au final et prend plutôt la forme d’une boucle que de deux réseaux qui seraient radicalement distincts », note Valérie Doyère. 

Enfin, les chercheurs ont voulu étudier de plus près le rôle des neurones CGRP de ces deux circuits parallèles dans l’apprentissage entre un signal neutre et un stimulus inconditionné, c’est-à-dire aversif de façon inné). On appelle cela une tâche pavlovienne du nom du chercheur en psychologie Ivan PavlovIvan Pavlov qui a mis sur pied ce type de protocoleprotocole. Les chercheurs observent alors que, si les cellules CGRP ne participent pas à la formation de la mémoire aversive, les deux circuits y participent bel et bien : « Lors de la tâche pavlovienne avec le choc électrique, les cellules CGRP ne s’activent pas lors du test final, c’est-à-dire quand l’animal est censé avoir associé le signal à l’aversion. Par contre, lorsque les expérimentateurs viennent stimuler les circuits neuronaux identifiés à l’aide d’une méthode d’optogénétique remplaçant ainsi le choc électrique, ils constatent bien la même réponse comportementale d’immobilisation chez l’animal. Cela veut dire que c’est probablement au niveau des cellules de l’amygdale que l’association mnésique a lieu, même si les chercheurs ne mesurent pas l’activation de ces dernières », conclut Valérie Doyère.

Est-ce vraiment la sensation de peur que l’on mesure ?

Avant de se quitter, il faut soulever une nuance importante. Dans le titre et dans notre introduction, nous parlions de peur par soucisouci de simplification. En réalité, il aurait été plus juste de parler de réponse défensive. En effet, il existe un gouffregouffre assez important entre les réponses défensives et physiologiques associées à des stimuli aversifs et les sensations de peur ou d’anxiété. Le débat concernant ces états de consciences est mitigé et les réponses apportées ne font pas encore consensus. Il existe néanmoins des arguments forts qui suggèrent que les circuits neuronaux dont nous avons parlé jusqu’à présent ne seraient pas responsables des sensations de peurs et d’anxiété. Dans un article de 2016 paru dans l’American Journal of Psychiatry, Joseph LeDoux et Daniel Pine se questionnent sur ce problème et proposent un modèle dual de la peur.

En effet, ils pointent du doigt le fait que le circuit neuronal unique de la peur est sans doute une chimèrechimère. Pour soutenir leur thèse, ils avancent que les marqueurs physiologiques et comportementaux de la peur sont faiblement corrélés chez l’humain aux sensations conscientes de peur et d’anxiété, que les patients ayant des lésions de l’amygdale sont encore capables de ressentir la peur (même s’ils ne sont plus capables de la reconnaître) ou bien que des stimuli subliminaux peuvent déclencher des réponses défensives et physiologiques sans provoquer de sensation de peur.

Ces différents points les poussent à théoriser deux circuits, le premier étant semblable au circuit unique classique déterminant les réponses stéréotypées face à un stimulus aversif, l’autre ayant une composante cognitive forte déterminant la sensation de peur. Pour leurs adversaires, la sensation subjective de peur n’est que le reflet d’une carence dans notre compréhension de la physiologie de cette dernière.

Ces deux visions sont donc radicalement incompatibles et réfèrent à des positions philosophiques différentes : le réductionnisme d’un côté et l’émergentisme de l’autre. Pour les premiers, les sensations découlent logiquement et nécessairement de la physiologie neuronale tandis que pour les autres, cette sensation est une propriété qui émerge des mêmes composants mais au sein d’un système plus complexe qu’ils forment lorsqu’ils sont en interaction.

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Written by Pierre T.

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