Tout au long de l’année 2017, Le Monde révélait, dans une série d’enquêtes baptisées les « Monsanto Papers », les pratiques de Monsanto pour défendre le glyphosate. Commercialisé depuis 1974 sous le nom de Roundup, l’herbicide best-seller de la firme agrochimique américaine avait été classé comme « cancérogène probable pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer en 2015.
Les articles du Monde étaient fondés sur l’analyse de centaines de documents internes de l’entreprise rendus publics dans le cadre de procès intentés aux Etats-Unis par des personnes souffrant de lymphomes non hodgkiniens, un cancer du sang qu’ils estimaient lié à leur exposition au glyphosate.
Manipulation de données scientifiques, dissimulation d’informations aux autorités, rémunération de spécialistes pour rédiger des tribunes et études scientifiques favorables (« ghostwriting »), opération de propagande, menaces et intimidation de scientifiques et d’organisations publiques chargées d’étudier le cancer… La révélation de ces stratégies a eu un grand retentissement dans le débat public.
Cet article de la série « Affaires à suivre » résume les principaux évènements intervenus depuis la sortie de l’enquête.
La controverse autour du glyphosate
- Cette enquête au long cours s’est inscrite dans un contexte politique et réglementaire électrique qui a donné lieu à une prise de conscience des carences de l’évaluation des pesticides par les pouvoirs publics.
- En octobre 2017, le Parlement européen s’est notamment appuyé sur les « Monsanto Papers » pour réclamer le non-renouvellement de l’autorisation du glyphosate sur le sol européen, jugeant que ces révélations avaient jeté « le doute sur la crédibilité de certaines études » utilisées lors de l’évaluation de la sécurité du glyphosate par l’Union européenne.
- Ces doutes ont été confirmés par la révélation par Le Monde et d’autres médias que le rapport préliminaire d’expertise, rédigé par l’agence de sécurité sanitaire allemande (Bundesinstitut für Risikobewertung, BfR) pour le compte de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), responsable de l’évaluation des pesticides pour l’UE, était partiellement copié-collé depuis le dossier fourni par la Glyphosate Task Force, menée par Monsanto.
- Quelques semaines plus tard, malgré l’indignation de l’opinion publique et une journée d’auditions organisées par le Parlement européen, l’EFSA finissait par juger le glyphosate non cancérogène. Une décision qui a conduit les pays membres de l’EU à renouveler, fin 2017, l’autorisation du glyphosate pour cinq ans.
- Signée par plus d’un million d’Européens, une « initiative citoyenne européenne » visant à « interdire le glyphosate et protéger la population et l’environnement contre les pesticides toxiques » a conduit l’année suivante à des modifications de la réglementation européenne pour permettre un accès aux données toxicologiques que fournissent les firmes à l’EFSA. Ces données étaient jusqu’alors protégées du regard de la communauté scientifique compétente et du public par le secret des affaires.
- Enfin, l’analyse de ces « Monsanto Papers » a joué un rôle déterminant dans la condamnation de Monsanto en 2018 à indemniser à Dewayne Johnson, un jardinier américain malade d’un cancer qu’il attribuait à son exposition à des herbicides contenant du glyphosate. Son avocat s’est appuyé sur ces documents pour affirmer que la firme « savait depuis des décennies que le glyphosate, et en particulier le Roundup, pouvait être une cause de cancer ».
Une enquête citée et primée
- Pour leur série d’articles sur les « Monsanto Papers », les journalistes du Monde Stéphane Foucart et Stéphane Horel ont reçu le prix de l’investigation du European Press Prize (2018) et le Grand prix Varenne de la presse quotidienne nationale (2017).
- Sollicités pour une masterclass à l’université d’été du Centre for Investigative Journalism (Londres, 2018), les deux journalistes du Monde ont réalisé de nombreuses interventions sur le sujet dans le milieu universitaire, comme à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris) et aux universités de Newcastle, d’Aston (Birmingham, Royaume-Uni) ou encore de Lausanne (Suisse).
- L’enquête a fait l’objet d’une correspondance de ses deux auteurs dans la revue Nature et a été citée dans une dizaine d’articles scientifiques – les « Monsanto Papers » l’ayant été dans plus de cinquante publications.