Dans sa jolie maison du centre-ville de Vittel, Bernard Schmitt comptait s’offrir une retraite contemplative. Profiter du jardin, des promenades en forêt, voyager… C’était avant de dénoncer ce qu’il appelle un « pillage » de l’eau par le géant suisse Nestlé. Chez ce médecin à la retraite devenu porte-parole du collectif écologiste Eau 88, le gazon est jaune paille en cette mi-août, les arbres et le potager font peine à voir.
« Il n’y a plus une goutte d’eau nulle part, mais pendant ce temps Nestlé continue de pomper la nappe sans restriction aucune, alors que tous les autres usagers doivent réduire leur consommation, s’indigne-t-il. Nestlé prélève en moyenne chaque jour l’équivalent de la consommation d’une ville de 40 000 habitants ! Pour fabriquer de l’eau à boire dans du plastique… »
Une situation aggravée par les sécheresses à répétition et les plus faibles chutes de neige l’hiver. Année après année, l’inimaginable se produit dans les Vosges : l’eau vient à manquer dans une région dont elle a fait la renommée dans le monde entier. Juillet a été le mois le plus sec depuis les premiers relevés, en 1959. La sécheresse fait craqueler les sols, assoiffe les cultures, la végétation, les animaux.
« Ici, c’est “Nestlé-ville” »
Le 8 août, le préfet prévient que le département affronte une crise d’une ampleur « jamais atteinte depuis la mise en place des niveaux d’alerte », en 2011. Les interdictions de laver, d’arroser, d’irriguer s’enchaînent. Mais rien n’y fait : une quinzaine de communes sont confrontées à des ruptures en eau potable et doivent être alimentées par des citernes. Le 2 septembre, plusieurs cours d’eau sont placés en alerte renforcée en raison de la baisse de leur niveau.
Les Vosges crèvent de soif. Nous sommes pourtant dans la patrie de trois eaux minérales : Hépar, Contrex et surtout Vittel, du nom de cette petite ville de 4 500 habitants située à 45 kilomètres à l’ouest de la préfecture, Épinal. Trois marques de Nestlé, premier groupe agroalimentaire mondial, dont les ventes ont progressé de 9,2 % au premier semestre 2022, après un chiffre d’affaires annuel de 83 milliards d’euros en 2021.
Cet été, les arrêtés préfectoraux antisécheresse les plus sévères ont frappé une très grande partie du département sans jamais remettre en cause les prélèvements de Nestlé dans les nappes phréatiques. Ce paradoxe interroge, dans un territoire où des militants écologistes dénoncent les excès du géant de l’eau.
Plus de 1,5 milliard de bouteilles sortent des usines de la région chaque année. Cet or liquide puisé sous la terre fait encore vivre 843 salariés, contre plus de 4 000 en 1975, avant l’avènement de l’automatisation. « Ici, c’est “Nestlé-ville” », lance Bernard Schmitt.
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