Au Congrès international d’astronautique qui se tient à Paris, ArianeGroup a présenté sa vision du transport spatial du futur et sa solution pour y répondre. Ce sera Susie, un projet astucieux d’étage entièrement réutilisable répondant aux besoins de transport et de missions vers et dans l’espace des décennies à venir. Mais, peut-on parler « d’étage » quand on voit tout ce que Susie sera capable de réaliser… Nos explications.
À quelles semaines de la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne (ESAESA), où se décideront les futurs programmes spatiaux européens, ArianeGroup a profité de la 73e édition du Congrès international d’astronautique (IAC) pour présenter un audacieux projet d’étage entièrement réutilisable. Susie, c’est son nom, acronyme de Smart Upper Stage for Innovative Exploration est un pari sur l’avenir car, souligne ArianeGroup, il est conçu pour « répondre aux besoins futurs de transport et de missions vers et dans l’espace ».
Ce concept vise donc à soutenir les enjeux spatiaux européens des décennies à venir et du boom attendu de l’économie du spatial qui se traduira par une intensification de l’utilisation de l’orbiteorbite basse et le fait que les activées spatiales ne se cantonneront plus seulement en orbite basse et géostationnaire. De nouveaux usages et de nouvelles activités nous amèneront jusqu’à la LuneLune et Mars. ArianeGroup a aussi conscience que les capacités de transport spatial de l’Europe en service ou en développement apparaissent insuffisantes pour répondre à ces besoins futurs à l’horizon 2030. D’où Susie.
Basée sur l’étude approfondie de ces besoins futurs en matièrematière de transport spatial et de services en orbite, et sur la nécessité d’un changement profond de la logique d’accès à l’espace, ArianeGroup propose donc ce concept audacieux. Ce faisant, elle fait aussi le choix que demain, le transport spatial en orbite se fera moins en direct vers la destination finale qu’en livrant d’abord vers une orbite intermédiaire suivie d’un transfert vers la destination finale. Dans cette nouvelle logique, les lanceurslanceurs desserviront l’orbite terrestre basse et une nouvelle orbite au-delà des ceintures de Van Allenceintures de Van Allen, appelée « orbite parking ». À partir de ces orbites, des véhicules spatiaux prendraient le relais pour atteindre les destinations finales. « Susie se veut partie prenante de ce futur système de transport spatial résilientrésilient et évolutif, assurant les missions dans l’espace et le retour sur terre des marchandises et des humains », souligne Morena Bernardini, directrice de la stratégie et de l’innovation chez ArianeGroup.
Véritable couteau suisse du transport spatial
Comme le détaille ArianeGroup dans son communiqué, Susie se présente comme un « véhicule flexible, modulaire, sûr, fiable et entièrement réutilisable ». Il sera capable de réaliser une très grande variété de missions, qu’il s’agisse de cargo automatisé pour le transport de fret et de charges utiles, ou de missions habitées avec un équipage allant jusqu’à cinq astronautesastronautes. Sans surprise, en raison de la très grande variété des missions qu’il pourra accomplir, Susie sera conçu pour pouvoir évoluer et répondre à de futurs besoins, ou remplir de nouvelles missions. Ainsi, en matière d’exploration, cet étage pourra réaliser des missions de longue distance, notamment atteindre l’orbite lunaire, grâce à sa capacité à recevoir un module de transfert spatial, assurant la propulsion et l’alimentation en énergieénergie et en airair pour l’équipage.
Ce projet est très audacieux car il n’existe aucun équivalent en développement et encore moins en service. Mais, si plusieurs points durs ont d’ores et déjà été identifiés, Morena Bernardini, directrice de la stratégie et de l’innovation chez ArianeGroup se veut rassurante quant à la capacité des industriels européens à le réaliser. « C’est un projet qui repose sur l’ensemble des savoir-faire existants chez ArianeGroup et au sein de l’industrie européenne. Il est cohérent avec les développements technologiques en cours ou à venir, en matière de transport spatial et de réutilisation. » Cette idée d’un étage supérieur réutilisable trotte dans la tête des dirigeants européens, dont Daniel Neuenschwander, directeur du transport spatial à l’Agence spatiale européenne, qui nous expliquait il y a quelques semaines que « plusieurs options et concepts sont à l’étude, dont un prévoit la récupération et la réutilisation d’un étage supérieur. Il faut absolument que l’Europe avance avec ambition dans ce domaine » !
Si l’ESA donne son feufeu vert à ce projet pour qu’il soit compatible avec Ariane 6Ariane 6, dans sa version 1.0, Susie ressemblera à un véhicule long de 12 mètres, large de cinq mètres et doté d’une baie intérieure d’un volumevolume de 40 m3. Avec une masse de 25 tonnes, Susie sera compatible aux performances en orbite basse d’Ariane 64 (la version à quatre boostersboosters) et à bord d’une future génération de lanceurs. Une précision qui a son importance quand on sait que la durée de vie d’Ariane 6 sera bien plus courte que celle d’Ariane 5, de sorte qu’ArianeGroup tient compte de l’hypothèse d’une mise en service de Susie après Ariane 6.
Projet Susie proposé dans un contexte spatial économique et géopolitique favorable
Quel sort sera réservé à ce projet ? Ce n’est pas la première fois qu’un industriel, ou un groupement, propose à l’Agence spatiale européenne un projet de rupture. Mais, si à chaque fois les États membres ont botté en touche ou poliment refusé le projet, l’étage Susie est proposé dans un contexte beaucoup plus porteur avec de nouveaux enjeux « spatiaux-stratégiques » et un contexte en orbite basse considérablement changé, de sorte que s’assurer d’y avoir accès devient un enjeu économique et géopolitique majeur. À cela s’ajoute qu’en début d’année, Josef Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne, a plaidé pour une capacité européenne dans le domaine du transport spatial, que ce soit pour envoyer des astronautes ou du fret.
En conclusion, ArianeGroup a certainement autant en point de mire la conférence ministérielle de l’ESA, qui se tiendra en novembre, que le sommet spatial prévu en février 2023. Lors de cette réunion à haut niveau, les gouvernements européens sont appelés à se prononcer sur une version habitée d’Ariane 6, voire un futur système de transport spatial habité, suite au mandat donné à l’ESA d’étudier la question, lors du sommet spatial de Toulouse en février de cette année. À suivre donc.