Si le texte est adopté par le Sénat, les entreprises n’auront plus le droit d’effectuer le moindre démarchage mentionnant le compte personnel de formation.
“Votre CPF arrive à expiration, utilisez vos droits”… Un message bientôt illégal? Les députés ont adopté une proposition de loi pour interdire le démarchage commercial d’un titulaire de compte personnel de formation, espérant tarir le flux de sollicitations subi par les particuliers.
Adopté en première lecture à l’unanimité des 73 votants, le texte vise à interdire “toute prospection commerciale des titulaires d’un compte personnel de formation” (CPF), “par téléphone”, courrier électronique” ou via les réseaux sociaux, pour protéger leurs données personnelles, mais aussi leurs crédits de formation.
Tout manquement serait passible d’une amende pouvant aller jusqu’à “75.000 euros pour une personne physique” et “375.000 euros pour une personne morale”. Un vote dont s’est félicité le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, ce 7 octobre.
Le texte n’a pas vocation à “interdire aux entreprises de faire la promotion de leurs formations”, a insisté Bruno Fuchs, député du groupe MoDem rapporteur du texte. “Il s’agit de revenir aux fondamentaux: c’est le titulaire du compte qui décide de sa formation et qui prend la décision de contacter un organisme”.
“Je suis très heureuse de soutenir cette loi (pour) dépolluer les pratiques illégales qui ternissent l’image du CPF”, a déclaré Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels.
Elle a toutefois souligné que le texte n’interdisait pas tous les démarchages d’organismes de formation, mais bien ceux qui mentionnent clairement l’éligibilité d’une formation via le CPF. La députée Delphine Batho (Ecologiste) a pointé cette limite, plaidant, sans succès, pour interdire tout démarchage téléphonique sans consentement explicite.
Reste à savoir si l’illégalité du démarchage autour du CPF entraînerait rapidement une réduction des sollicitations.”Ça ne va pas tarir immédiatement le flux mais les amendes et le risque d’une procédure seront assez dissuasifs”, veut croire Bruno Fuchs.
Les députés David Guiraud (LFI) et Christophe Naegelen (Liot) ont insisté sur la nécessité de renforcer les moyens de l’agence de Répression des fraudes. Le communiste Pierre Dharréville a lui dénoncé la “marchandisation de la formation professionnelle”, qui a selon lui ouvert la porte à ces abus.
Le CPF, qui existe depuis le 1er janvier 2019, permet à toute personne active d’acquérir des droits à la formation en euros et non plus en heures, via une plateforme en ligne. C’est la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui rémunère directement les sociétés de formation, parfois des coquilles vides cherchant à siphonner de l’argent public. En près de trois ans, 5 millions de personnes ont été formées pour un coût total de 7 milliards d’euros, selon la CDC.
La fraude a fortement augmenté en 2021, détaillait en juillet Tracfin, la cellule de renseignements financiers de Bercy. Les déclarations de soupçons transmises ont grimpé à 116, contre seulement 10 en 2020. Cela représente des soupçons de fraude de 43,2 millions d’euros, contre 7,8 millions une année auparavant.
Au-delà de l’interdiction du démarchage lié au CPF, le texte adopté jeudi prévoit de sécuriser juridiquement “les échanges d’informations entre la CDC, France compétences, les services de l’État chargés de la concurrence, de la répression des fraudes et des contrôles de la formation professionnelle”.
Un amendement prévoit également un droit pour la CDC, la possibilité de recevoir de l’administration fiscale tous les “documents ou renseignements nécessaires” au contrôle préalable du paiement “des sommes dues”, et “au recouvrement des sommes indûment versées” au titre d’un compte personnel de formation.
Un amendement gouvernemental vise aussi à lui octroyer le pouvoir “d’intervenir directement” pour “obtenir un recouvrement forcé”, sans passer par le tribunal administratif, où les délais sont trop longs, a expliqué la ministre.
Concernant la qualité des formations, un amendement du gouvernement prévoit que les sous-traitants d’une entreprise de formation devront observer les mêmes exigences que l’entreprise qui a été agréée au CPF. Un décret en Conseil d’Etat devra préciser les contours de cette disposition.
Une mesure destinée notamment à éviter que certains “louent leur certifications auprès d’opérateurs peu scrupuleux”, selon Bruno Fuchs. “C’est un signal politique clair”, selon le député. “Il y a trop d’abus dans certaines formations”.
Reste qu’une partie de la fraude ne pourra probablement pas être résolue par l’interdiction du démarchage. Les méthodes ont évolué, expliquait en juillet le directeur de Tracfin Guillaume Valette-Valla.
Les réseaux se sont nettement professionnalisés et comptent désormais des organisations criminelles transnationales, notamment en dehors de l’Union européenne, sur le modèle de fraudes plus anciennes telles que celles sur le marché du carbone. Le texte doit désormais passer devant le Sénat.