Juana, 8 ans, vient de rentrer de l’école. Alors que La température avoisine les 40 degrés dans la vallée d’Ixquisis, dans le nord du Guatemala, elle prend à peine le temps d’enlever son cartable, et plonge dans le Rio Pojom, toute proche de sa maison. Juan Alonzo, 33 ans, observe sa fille : la rivière dans laquelle elle se rafraîchit est celle pour laquelle son propre père, Sebastian, est mort cinq ans plus tôt. « Avec mon père, on ne ratait pas une seule manifestation pour défendre nos rivières, nos montagnes. En tant qu’indigènes, c’était un devoir pour nous », témoigne Juan, qui retrace le combat de son père, tué dans une manifestation contre l’implantation des deux centrales hydroélectriques dans la vallée, le 17 janvier 2017.
A Yulchen Frontera, l’un des huit villages d’Ixquisis, personne n’a oublié la mort violente de l’agriculteur de 68 ans. Juan et son père étaient engagés pour la protection de leurs ressources naturelles. Cette famille vit de la culture du café et de la cardamome. Juan raconte qu’avec son père, ils partaient avant que le soleil se lève pour défricher leurs champs, pour ne revenir que de longues heures plus tard.
Trois cours d’eau irriguent la vallée : le Rio Negro avec ses eaux sombres, le Rio Pojom apprécié des enfants pour ses eaux calmes, le Rio Yolhuitz, large et puissant. Un potentiel hydrique convoité depuis 2012 par la société Promoción de Desarrollo Hidrico (aujourd’hui Energia y Renovacion), qui souhaite implanter sur place des centrales hydroélectriques. A son arrivée, l’entreprise reçoit un accueil plutôt favorable. Dans cette région privée d’électricité, les habitants, des Indiens des ethnies Chuj et Kanjobal pour l’essentiel, émigrent massivement vers les Etats-Unis.
« Vous allez nous laisser sans rien ? »
Construction d’écoles, centres de santé, infrastructures… la société promet d’améliorer les conditions de vie de la communauté locale. Sebastian, lui, reste méfiant. Lorsque les travaux débutent en 2013, il va à la rencontre des ouvriers qui s’affairent près du Rio Pojom, et leur demande ce qu’ils prévoient de faire. L’un d’entre eux lui révèle qu’ils construisent un tunnel pour dévier la rivière. « Mais vous allez nous laisser sans rien ? », réagit alors Sebastian.
Comme tous les anciens, Sebastian est respecté. Sa voix compte double dans les assemblées communautaires où sont prises les décisions importantes. Quand Juan et son père comprennent que la rivière qui irrigue les terres de Yulchen Frontera est menacée par le projet hydroélectrique de Energia y Renovacion, ils décident de s’y opposer. Leurs cultures sont exigeantes en eau. La vie de leur famille en dépend.
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