L’organisme de régulation professionnelle de la publicité en France propose aux influenceurs de se former au cadre légal et éthique de leurs activités. Un moyen pour eux de montrer que leur métier est sérieux.
En septembre, Loup, influenceur lifestyle et mode au même pseudo que son prénom, a pu collaborer avec la marque Karl Lagerfeld. Il a été rémunéré pour publier des photos léchées sur Instagram, où il porte des vêtements de la nouvelle collection de l’entreprise. En haut de sa photo, sous son pseudo, se niche un détail qui n’a rien de futile: l’inscription “partenariat rémunéré”.
Loup l’assure, il a toujours été en règle dans ses placements de produit. Mais il avoue avoir peut-être déjà utilisé le discret hashtag #ad dans ses contenus sponsorisés lors de ses près de 7 ans de carrière dans l’influence. Il le sait maintenant, la loi française requiert une intention commerciale claire, et donc la mention “sponsorisé” ou “partenariat rémunéré”, lorsqu’un influenceur effectue un placement de produit. Le mot américain pour “publicité” ne suffit pas.
Loup, dont le compte TikTok compte plus d’un million d’abonnés, l’a appris en passant le certificat “Influence responsable” de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), l’organisme de régulation professionnelle de la publicité en France. Son agente lui avait recommandé de le passer, tous deux en avaient entendu parler par le bouche-à-oreille dans le milieu.
En France, ne pas indiquer clairement qu’un contenu est sponsorisé est considéré comme une pratique commerciale trompeuse, selon le code de la consommation. La peine maximale prévue est un emprisonnement de deux ans et une amende de 300.000 euros.
L’ARPP est partie d’un constat: beaucoup d’influenceurs manquent encore de transparence sur leurs activités commerciales. Selon les résultats d’une étude publiée par l’organisme en septembre 2021, une publication d’influenceur sur quatre ne dévoile pas ses intentions commerciales. Un phénomène particulièrement marqué chez les influenceurs à plus faible audience (moins de 10.000 abonnés).
“On s’est dit qu’il y avait un enjeu pédagogique”, explique le directeur délégué de l’ARPP, Mohamed Mansouri, à BFMTV.com.
Pour mettre les choses au clair, l’organisme a mis en place un “certificat de l’influence responsable” en 2021. Il est délivré après une formation en ligne de 3 heures environ, où sont abordées les règles à respecter lorsqu’on parle dans une publicité de jeux d’argent ou de santé par exemple, et les grands principes éthiques qui encadrent le marketing d’influence, comme la lutte contre le greenwashing ou la protection des enfants. La formation est suivie d’un QCM qui contrôle ce que l’influenceur a retenu: que doit-il vérifier avant de collaborer avec une nouvelle marque? Quelles sont les règles pour faire la promotion boissons alcooliques?
Il faut obtenir 70% de bonnes réponses pour décrocher le certificat, et à l’heure actuelle, environ 170 influenceurs le détiennent. Ce sont des femmes pour la majorité, avec des profils plutôt “lifestyle”, mode et voyage. Un créateur de contenus sur cinq l’ayant passé a échoué, selon l’ARPP.
Une “professionalisation” du secteur de l’influence
Avec l’affaire qui oppose l’agente d’influenceurs de télé-réalité Magali Berdah et le rappeur Booba depuis cet été, qui a donné un coup de projecteur aux arnaques vendues par certains influenceurs, les acteurs du milieu voient les initiatives comme celle de l’ARPP d’un bon œil.
“C’est bien par rapport à l’actualité en ce moment, ça permet de différencier les créateurs de contenus des autres, ceux qui ne respectent pas les règles”, estime Loup.
Ruben Cohen, co-fondateur de l’agence d’influenceurs Follow, ne dit pas le contraire. Follow représente notamment Paola Lct (1,9 million d’abonnés sur Instagram) et Fabian Crfx (2,8 millions d’abonnés sur TikTok).
Le certificat “va dans le sens d’une vraie professionnalisation du métier. Aucun marché ne peut s’inscrire dans la durée sans confiance”, explique-t-il.
Sur les 28 créateurs de contenus de son agence, 20 l’ont déjà passé et le reste doit le faire d’ici mi-octobre.
Mais ce n’est pas qu’un bout de papier: ce certificat est aussi un “engagement” auprès de l’ARPP, explique Mohamed Mansouri.
Des marques demandent le certificat
L’ARPP contrôle le respect de cet engagement: sur la dizaine de personne qui travaillent au sein de l’organisme, trois se consacrent – en partie – au marketing d’influence. Ils regardent deux jours par semaine une compilation de contenus d’influenceurs certifiés pouvant être des publicités, et vérifient que les créateurs de contenus écrivent bien qu’il s’agit d’un partenariat rémunéré. Si ce n’est pas le cas pour l’un d’entre eux, l’ARPP commence par lui envoyer une alerte par message privé sur Instagram.
“En général”, l’organisme obtient une réponse au message, qui justifie l’absence de mention “sponsorisé” par exemple par un oubli. Mais si malgré tout, l’influenceur continue d’agir de manière illégale ou non déontologique, l’ARPP peut suspendre ou retirer le certificat.
Le dernier palier est la saisine du Jury de déontologie publicitaire. Composé notamment de magistrats et de professionnels de la publicité, il peut être saisi par tout un chacun et rend des avis publics sur les plaintes.
Pour un influenceur épinglé par cette instance, la sanction alors est surtout “l’atteinte réputationnelle, le ‘name and shame'”, selon Mohamed Mansouri. Depuis la création du certificat, le Jury n’a été saisi pour aucun influenceur certifié.
Ces sanctions restent symboliques, et l’ARPP l’assume: “nous faisons de la déontologie, pas du pénal. Quand c’est du pénal, on peut en référer aux autorités, mais chacun reste dans son périmètre”, déclare Mohamed Mansouri. Il admet que si toutes les marques se mettaient à exiger le certificat pour collaborer avec un influenceurs, la peur de se le faire enlever serait probablement plus forte.
Certaines entreprises le font déjà, comme L’Oréal, confirme la marque à BFMTV.com. Cette démarche “vise à inciter nos partenaires à suivre cette spirale vertueuse, au bénéfice du consommateur”, ajoute L’Oréal. Une idée partagée par Loup: avoir le certificat “donne confiance aux partenaires”.
“3 heures, c’est un peu court”
Sandrea, youtubeuse à plus d’1,4 million d’abonnés, fait partie des influenceurs qui collaborent régulièrement avec L’Oréal. Pendant sa formation avec l’ARPP, elle appris les règles qui entourent l’utilisation du mot cruelty free, un label qui indique qu’un produit n’a pas été testé sur des animaux, dans une publication.
“C’est incroyable de penser que je ne connaissais pas tout cela, alors que j’ai été dans la ‘niche beauté’ pendant longtemps” sur YouTube, s’étonne-t-elle presque.
La formation n’a toutefois pas changé sa manière d’exercer son activité:
“Il y avait beaucoup de choses que je connaissais déjà, parce que ça fait des années que je fais ce métier”, explique-t-elle.
Même si elle pense que le certificat devrait “être requis pour devenir influenceur”, elle juge que “3 heures, c’est un peu court” pour se former à un métier.
C’est pourquoi l’agence Follow “n’a pas vocation à s’arrêter” à ce certificat, selon les mots de son co-fondateur Ruben Cohen. Follow est par exemple en train d’organiser une journée de formation pour ses influenceurs “sur des sujets sociétaux”, comme l’écologie, le cyberharcèlement ou les violences faites aux femmes.
Pour Sandrea, active dans le milieu de l’influence depuis plus de 10 ans, “c’est à l’État de s’impliquer” davantage dans la régulation de cette activité, même si elle ne sait pas exactement comment.
En attendant, l’ARPP va “renforcer” son certificat cette année, en y incluant un module sur le développement durable pour vulgariser le dernier rapport du Giec et bannir chez les influenceurs “toute représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement”.
“On ne peut plus voir des influenceurs montrer des commandes McDonald’s livrées en jet privé, ou des voyages de 3 jours à Tahiti”, explique Mohamed Mansouri.
Il fait notamment référence à la vidéo publiée en janvier par le youtubeur FastGoodCuisine, suivi par plus de 4 millions de personnes, intitulée “je livre un McDo en jet privé”. Il a été très rapidement interpellé par des abonnés, entre autres, et a supprimé sa vidéo.