« Nous n’avons pas réussi à communiquer ! » Ce constat, formulé par un écologue contributeur au GIEC depuis 1985 et récemment invité à « raconter la science en temps de crise », nourrit le renouvellement des formes de mobilisation collective des scientifiques. Les faits s’enchaînent avec régularité : un scientifique de la NASA qui s’attache aux portes de la banque JP Morgan, des chercheurs en sciences de l’environnement qui appellent leurs collègues à faire la grève de la science, jusqu’aux tribunes cherchant à expliquer pourquoi les scientifiques peuvent légitimement recourir à la désobéissance civile.
Ces actions et ces propos sont spectaculaires. Mais sont-ils la manifestation la plus visible d’une transformation plus profonde de la façon dont les scientifiques envisagent leur responsabilité sociale ?
L’enquête que nous avons coordonnée, consacrée à l’intégrité scientifique et à l’éthique de la recherche à l’épreuve de la crise liée au Covid-19, et dont les résultats viennent d’être rendus publics, apporte des éléments de réponse. Si elle est la première à interroger un échantillon de plus de 2 100 agents du CNRS sur les enjeux de l’intégrité scientifique, elle reprend certains éléments d’une enquête conduite en 2007 par l’un d’entre nous (Daniel Boy) sur la responsabilité sociale des scientifiques. Elle interroge également les scientifiques du CNRS sur leur conception de la prise de parole dans l’espace public. Trois enseignements généraux méritent d’être soulignés.
Tout d’abord, le sentiment d’inefficacité sociale et politique de la parole scientifique, décrit par nombre de scientifiques activistes, et sa difficulté à politiser de façon non partisane les enjeux de la crise climatique font directement écho à l’inquiétude croissante exprimée par les personnes interrogées à propos du lien de confiance entre science et société. Entre 2007 et 2022, la proportion de celles et ceux qui considèrent qu’il existe bel et bien « une crise grave » de confiance a presque doublé (de 17 % à 31 %). Soit près d’un tiers de nos répondants donc, auxquels il faut ajouter un peu moins de la moitié de notre échantillon d’ensemble (45 %, + 15 points entre 2007 et 2022), qui considère que la crise est bien réelle, mais que « cela dépend des secteurs d’activité ». Bref, là où l’inquiétude, globale ou délimitée, était minoritaire en 2007 (4 scientifiques sur 10), elle est aujourd’hui majoritaire (plus de 7 scientifiques sur 10).
Le désir de contribuer à changer le monde
Deuxième enseignement, la transformation de l’équilibre entre les différentes motivations associées à l’activité scientifique : « le désir de savoir, la curiosité, l’imagination » sont les principales motivations autour desquelles se retrouvent la quasi-totalité des scientifiques interrogés, en 2007 comme en 2022. En revanche, d’autres motivations se révèlent plus changeantes. Là encore, comme en écho aux nouvelles mobilisations scientifiques, une importance croissante est accordée au « désir de rendre service à la société » (+ 6 points) ou au « désir de contribuer à changer le monde » (+ 11 points). Alors qu’inversement « le désir d’être le meilleur, la compétition avec les autres chercheurs » perdent de façon spectaculaire plus de 18 points de pourcentage.
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