Faire parcourir à des millions de personnes des milliers de kilomètres en avion pour assister à un match, construire des stades immenses… Au moment où la Coupe du monde au Qatar attire les foudres des défenseurs de l’environnement, se pose plus globalement la question de la pertinence du format de la compétition à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique. Entretien avec Antoine Miche, président fondateur de Football Écologie France.
“Un non-sens écologique”, une “aberration”. Malgré les promesses d’un événement “neutre en carbone”, le Mondial-2022 au Qatar, avec ses stades climatisés tout juste sortis de terre et ses 150 trajets quotidiens en avion pour acheminer les supporters, est décrié par les défenseurs de l’environnement comme un scandale écologique. Au total, la compétition devrait produire jusqu’à 3,6 millions de tonnes de CO2, selon la Fifa.
Mais au-delà des polémiques autour de cette édition 2022, la pollution paraît inévitable lors de l’organisation d’un événement mondial. Lors de la précédente édition, en Russie, en 2018, 2,1 millions de tonnes de CO2 avait été relâchées dans l’atmosphère, soit la moitié des émissions de la France en une année complète.
Réduire le nombre d’équipes participantes, privilégier les pays avec des infrastructures existantes, réduire la fréquence des événements… Alors que les scientifiques ne cessent d’alerter sur la nécessité de réduire les gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique, Antoine Miche, président fondateur de Football Écologie France, une association visant à faire de ce sport un acteur majeur de la transition écologique, évoque plusieurs pistes pour rendre les prochaines Coupe du monde plus “vertes”.
France 24 : Pourquoi les Coupes du monde de football sont-elles si coûteuses pour l’environnement ?
Antoine Miche : Toutes les Coupes du monde de football, dans leur format actuel, ont un impact désastreux sur l’environnement. Pour le Qatar, la Fifa parle de 3,6 millions de tonnes de CO2 mais les associations s’accordent à dire que ce chiffre est largement sous-estimé. Si cette édition promet d’être particulièrement catastrophique sur le plan écologique, les précédents Mondiaux, en Russie ou en Afrique du sud, étaient aussi très loin d’avoir un bilan positif.
Cela s’explique très facilement : en brassant des millions et des millions de personnes en un seul et même endroit – des individus qu’il faut transporter, héberger et nourrir – les Mondiaux sont des cocktails explosifs pour la planète.
Dans le détail, la grande majorité des émissions de CO2 sont générées par le transport des équipes, de leur personnel et des supporters. L’autre gros volet de pollution vient de la construction ou de la rénovation des infrastructures, notamment des stades, destinés à accueillir l’événement. C’est d’ailleurs ce point qui génère le plus de critiques sur l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Il a fallu partir de zéro et construire huit stades immenses, important des millions de tonnes de matériaux, pour des infrastructures qui ne resserviront peut être que sporadiquement dans ce pays d’à peine 3 millions d’habitants. À cela s’ajoute tout un tas de sources de pollution plus minimes, mais pas moins importantes, comme l’alimentation ou les déchets générés par des millions de personnes au même endroit.
D’ailleurs, on pointe du doigt le Qatar mais le Mondial-2026, qui sera partagé entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, est lui aussi une aberration écologique. Certes, cette fois-ci, les trois pays sont des nations de football et disposent des infrastructures nécessaires, mais les supporters, joueurs, équipes vont devoir parcourir des milliers de kilomètres entre les différentes villes hôtes. Par exemple, il y a près de 5 000 kilomètres entre Vancouver et Mexico. Sans compter que le nombre de nations participantes aura alors augmenté, passant de 32 à 48. Cela signifie encore plus de matches à organiser et encore plus de monde à nourrir, à loger et à transporter.
Quels seraient les leviers d’action pour organiser une Coupe du monde plus respectueuse de l’environnement ? Une compétition “neutre en carbone”, comme le promettait la Fifa pour cette édition 2022, est-elle réellement possible ?
La priorité, c’est que les instances dirigeantes du football s’engagent et adressent un cahier des charges beaucoup plus exigeant sur les enjeux environnementaux aux pays-hôtes. Ces derniers devraient être obligés de respecter une grille avec des critères précis, une sorte de “guide pour un sport vert”, en phase avec la transition écologique. C’est la condition sine qua non pour améliorer la situation et les pratiques.
Il faut aussi s’atteler à limiter l’empreinte carbone liée aux transports et aux infrastructures. Pour cela, on doit s’assurer que les bâtiments construits pour l’événement ne vont pas rester inutilisés après la compétition. Encore mieux, on devrait privilégier des candidats qui disposent déjà de tout ce qu’il faut, même si, malheureusement, cela doit écarter certains pays en voie de développement par exemple.
Si on va plus loin, il faudrait complètement repenser le format de la compétition. Pourquoi ne pas organiser des phases de sélections régionales plus longues et maintenir une phase finale dans un pays hôte, avec moins d’équipes en compétition ? On peut aussi envisager de modifier la fréquence des Coupes du monde, en organisant la compétition tous les six ans au lieu de tous les quatre ans. Sur le long-terme, cela aurait un vrai impact.
Objectivement, atteindre une compétition réellement “neutre en carbone”, comme le promet la Fifa, serait extrêmement difficile et serait un condensé de toutes ces pistes : il faudrait que ce soit dans un seul pays, sans travaux d’infrastructures, en privilégiant des modes de transports doux et avec moins d’équipes.
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Sentez-vous une prise de conscience de la part des instances du football ? Pensez-vous que les polémiques autour du Mondial au Qatar peuvent les inciter à mieux prendre en compte les enjeux environnementaux ?
Malheureusement, la Fifa, notamment, évolue très peu et très lentement sur la question. C’est flagrant dans sa gouvernance. Quand les défenseurs de l’environnement évoquent de diminuer la fréquence des compétitions, la Fifa, elle, propose d’organiser la Coupe du monde tous les deux ans. C’est aberrant.
Lorsqu’on pointe du doigt son bilan écologique, sa grande réponse est de dire qu’elle compense les émissions de CO2 des grands événements grâce à des crédits carbone, [c’est-à-dire en soutenant des programmes de réduction ou de séquestration de CO2 partout dans le monde, NDLR]. Alors, elle participe à tout va à des plantations d’arbres et finance des projets en énergies renouvelables. Mais ce n’est pas du tout une solution. Aujourd’hui, il faut réduire les gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique. Compenser ses émissions ne doit rester qu’une solution de dernier recours.
En cela, les nombreux appels au boycott qui ont émergé ces dernières semaines pourraient avoir un impact positif et inciter les différentes instances à mieux prendre en compte la question environnementale. Elles se rendent compte que cela devient un enjeu majeur pour attirer du public.
Les supporters de football, quant à eux, seraient-ils prêts à modifier leurs pratiques ?
Les appels au boycott et les contre-événements organisés en opposition au Mondial-2022 un peu partout montrent qu’une grande partie des supporters ne veulent plus laisser de côté la question des enjeux climatiques. Il y a un an, une telle mobilisation m’aurait paru impossible. Il y a eu une vraie prise de conscience. Même si, dans le cas du Qatar, il ne faut pas oublier que ces oppositions sont aussi dues à d’autres problématiques, notamment celle des droits humains.
L’autre chose qui est rassurante c’est que l’engagement des supporters ne consiste pas qu’à éteindre leur télé. Ils sont aussi de plus en plus actifs dans leur façon de soutenir leurs équipes ou de pratiquer leur passion. Lorsque France écologie Football a lancé une consultation citoyenne, en 2020, sur la transition écologique et le football, de nombreuses personnes ou des groupes de supporters par exemple, sont venus vers nous et se sont montrés intéressés pour mettre en place des actions concrètes : développer le covoiturage pour aller aux matches ou mieux trier les déchets…
Bien sûr, il reste des réticents. Selon moi, c’est là que les clubs et les joueurs internationaux peuvent faire la différence. Si Kylian Mbappé devenait un porte-parole d’un football écologique, il n’y a aucun doute que des milliers de supporters suivraient.