Entre les années 1950 et 1970, des milliers de prisonniers afro-américains de la prison d’Holmesburg, à Philadelphie, ont servi de cobayes pour des expériences médicales menées par un dermatologue influent de l’université de Pennsylvanie, Albert Kligman (1916-2010). Elles visaient à tester des produits pour le compte d’entreprises telles que les cosmétiques Helena Rubenstein, les laboratoires Johnson & Johnson et Dow Chemical, ainsi que pour l’armée américaine. Les détenus ont été exposés à des produits pharmaceutiques, à des agents infectieux comme le virus de l’herpès et le staphylocoque doré, à du LSD et à des composants de l’agent orange. Ces expériences ont été interrompues en 1974 et il a fallu près de cinquante ans pour que les premières excuses officielles soient émises.
En août 2021, le doyen de la faculté de médecine de Pennsylvanie reconnaissait officiellement qu’Albert Kligman avait dénié le consentement libre et éclairé des prisonniers. Lui emboîtant le pas, le conseil municipal de la ville de Philadelphie a adopté, le 20 octobre, une résolution émettant des excuses officielles pour « ces actes odieux d’abus et de torture ». « Le traitement lamentable des prisonniers de la prison d’Holmesburg entre les années 1950 et 1970 devrait être examiné en profondeur, tandis que la persistance du racisme médical dans notre société devrait être étudiée et cesser », précise cette résolution. L’écrivain et militant Allen Hornblum a été témoin de ces expérimentations alors qu’il travaillait au sein du système pénitentiaire de la ville de Philadelphie. Auteur du livre Acres of Skin (Routledge, 1988, non traduit), qui a révélé cette affaire au grand public, il a été impliqué, aux côtés d’un groupe d’anciens prisonniers, dans la lutte ayant mené à cette reconnaissance.
Dans quelles circonstances avez-vous découvert ces expérimentations médicales ?
La prison d’Holmesburg était l’une des trois prisons du système pénitentiaire de la ville de Philadelphie, et j’y enseignais dans le cadre d’un programme éducatif public. Lorsque je m’y suis rendu pour la première fois, j’ai été choqué par ce que j’ai vu et particulièrement par les bandages que portaient les prisonniers. Ils présentaient aussi des irritations ou des marques qui ressemblaient à des tatouages. J’ai d’abord pensé à des affrontements entre gangs, mais lorsque j’ai interrogé un garde, le lendemain, il m’a répondu que ce n’était rien, qu’il s’agissait juste d’expérimentations menées par l’université de Philadelphie destinées à tester des parfums. J’ai pensé qu’il plaisantait. Ces hommes vivaient dans des conditions sanitaires déplorables. Ils sentaient mauvais. Comment pouvait-on tester des parfums sur eux ?
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