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la promesse de « neutralité carbone » de la Coupe du monde n’est pas crédible


Le compte à rebours officiel avant le coup d’envoi du match d’ouverture de la Coupe du monde, à Doha le 25 novembre 2021.

La Coupe du monde de football 2022 organisée au Qatar sera la première édition du célèbre tournoi planétaire à ne pas relâcher un seul gramme de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, si l’on en croit la FIFA et le comité d’organisation qatari. Les deux organismes assurent que les efforts faits ces dernières années permettent de compenser entièrement les émissions liées à l’événement en finançant ailleurs des projets liés aux énergies renouvelables, pour un résultat « neutre en carbone ».

Mais la neutralité carbone est un concept théorique qu’il est difficile de mettre en œuvre et de vérifier. Cela suppose à la fois d’estimer correctement la quantité de gaz à effet de serre émise dans l’atmosphère à « compenser » et de financer suffisamment de projets pour permettre d’éviter d’autres émissions ailleurs sur la planète, en s’assurant qu’ils n’auraient pas vu le jour sans ce financement (sans quoi l’on ne « compense » rien du tout).

Dans les faits, la promesse de neutralité carbone ne résiste pas à un examen attentif des actions menées par les organisateurs et de la méthodologie employée pour calculer les émissions liées à la Coupe du monde.

Des émissions nettement sous-estimées par la FIFA

En juin 2021, la Fédération internationale de football (FIFA) a publié un rapport sur les émissions de gaz à effet de serre liées à la Coupe du monde 2022 au Qatar. Rédigé par South Pole, un cabinet spécialisé implanté à Zurich, à quelques kilomètres du siège de la fédération, il propose un inventaire complet des émissions calculé dans le cadre du GHG Protocol, une méthodologie communément utilisée pour ce genre d’exercice, mise au point en 1998. Au total, le rapport estime que le tournoi devrait dégager l’équivalent de 3,63 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles du Monténégro (610 000 habitants), ou encore des émissions mensuelles moyennes du Danemark (5,87 millions d’habitants). Ces émissions sont réparties en plusieurs catégories :

  1. les émissions directes des personnels et matériels des organisateurs ;
  2. les émissions indirectes dues à la production de l’énergie consommée par les organisateurs ;
  3. les émissions indirectes générées par les visiteurs, les sous-traitants ou la production des produits achetés par les organisateurs.

Dans ce calcul, les émissions directes (catégorie 1) sont minimes et ne comptent que pour 1 % des émissions totales, soit 35 100 tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (CO2e). Les émissions indirectes liées à la consommation d’électricité et de carburant imputables directement aux vingt-neuf jours de compétition sont quasiment aussi faibles (37 200 tonnes CO2e) car elles se limitent strictement aux activités des personnels et volontaires de la FIFA et du comité d’organisation qatari. Le gros des émissions de gaz à effet de serre se trouve dans la troisième catégorie (98 %), celle des émissions indirectes, incluant les spectateurs – 1,2 million – attendus au Qatar et la construction des infrastructures de la Coupe du monde (3,56 millions de tonnes CO2e).

Mais plusieurs éléments de méthodologie suggèrent que ces résultats sont plutôt conservateurs et tendent à sous-estimer les émissions réelles imputables à l’événement, selon un rapport publié fin mai 2022 par Carbon Market Watch, une ONG spécialisée dans les marchés carbone et les politiques publiques climatiques, fondée en 2009 et basée en Autriche.

Sept ont été construits et un rénové de fond en comble pour accueillir l’ensemble des 64 matchs

Un des premiers éléments contestables concerne le bilan carbone des stades prévus pour la compétition. Sept ont été construits et un rénové de fond en comble pour accueillir l’ensemble des 64 matchs, ce qui aurait émis 644 000 tonnes de CO2, selon le rapport de la FIFA, dont 438 000 tonnes rien que pour le temporaire Stade 974 – ce qui impliquerait que la construction/rénovation des sept autres stades aurait émis deux fois moins de CO2 que celle de l’unique stade démontable du tournoi. Cela s’explique par un choix de méthodologie qui consiste à répartir les émissions générées par la construction sur la durée de vie totale des bâtiments. Or, si ce choix est la plupart du temps classique et adapté, il permet ici à la FIFA de n’allouer à la Coupe du monde 2022 que les émissions correspondant à soixante-dix jours de la durée de vie supposée du stade. Sachant que la FIFA a, par le passé, estimé une telle durée de vie à soixante ans, ce mode de calcul permet d’attribuer à la compétition seulement 0,32 % des émissions réelles dues à leur construction.

Or, ces stades flambant neufs, construits à quelques dizaines de kilomètres les uns des autres dans une agglomération qui n’accueille pratiquement aucune compétition sportive, sont nettement surdimensionnés et trop nombreux pour être utilisés par le seul public local. Comme tous les organisateurs précédents, ceux-ci ont garanti que les stades continueront à servir. Mais tous les exemples passés (Corée du Sud et Japon en 2002, Afrique du Sud en 2010, Russie en 2018) montrent que ces infrastructures, trop chères à maintenir en l’absence de clubs locataires et donc d’un public régulier, sont largement abandonnées, même dans des pays de football comme le Brésil.

En se fondant sur d’autres chiffres présents dans des rapports séparés, Carbon Market Watch estime que le bilan de la construction des six stades neufs permanents est au minimum de 1,62 million de tonnes de CO2, mais pourrait être plus important. Cumulé au stade démontable, le bilan des sept nouvelles enceintes s’élèverait en fin de compte à plus de 2 millions de tonnes de dioxyde de carbone.

Ces émissions de CO2 sont très compliquées à calculer de façon indépendante

De même, le rapport publié par la FIFA ne comprend pas les émissions générées par la construction de toutes les infrastructures qui n’auraient pas vu le jour si le pays n’avait pas à organiser l’un des plus importants événements sportifs du monde sur son territoire. Ces émissions sont très compliquées à calculer de façon indépendante tant il est difficile d’estimer le nombre d’infrastructures de transport, d’hébergement et de bureaux que l’on peut raisonnablement imputer à l’organisation de ce Mondial 2022. Mais il est assez clair que le boom de la construction qu’a connu ce petit émirat gazier sur la dernière décennie est en partie lié à l’attribution du tournoi obtenue le 2 décembre 2010.

Ce rapport n’inclut pas non plus les émissions qui seront générées par les 160 vols quotidiens entre Doha et les pays voisins (principalement les Emirats arabes unis) qui hébergeront une bonne partie du 1,2 million de spectateurs attendus pour l’événement. Les capacités hôtelières de l’émirat ne lui permettent pas d’accueillir tous les spectateurs et invités, ce qui contraindra une partie d’entre eux à deux heures de vol aller-retour depuis Dubaï, ou d’autres villes avoisinantes, pour se rendre au stade. Rien que dans les deux premières semaines du tournoi, celles qui voient affluer le plus de spectateurs lors des phases de poule, ces « navettes aériennes » émettront entre 100 000 et 200 000 tonnes de CO2, selon un calcul réalisé par Le Monde.

Les financements pour « compenser » les émissions aux abonnés absents

Atteindre la neutralité carbone suppose de « compenser » les émissions de gaz à effet de serre en finançant le « retrait » d’autres émissions équivalentes, de sorte que le solde des deux soit égal à zéro. A cette fin, les organisateurs de la Coupe du monde 2022 ont promis d’acheter des « crédits carbone » afin de compenser les 3,63 millions de tonnes de CO2 qui, selon eux, devraient être émis. Sur les 3,6 millions de crédits carbone qui devront être achetés, la moitié devrait être achetée à un organisme émetteur de crédits créé de toutes pièces par la FIFA et le comité d’organisation qatari, le Global Carbon Council (GCC). Une méthode qui permet aux organisateurs et à leurs partenaires des pays du Golfe de définir leurs propres standards, sans passer par les organismes certificateurs reconnus sur les marchés carbone que sont Verified Carbon Standard ou Gold Standard.

A trois semaines de son ouverture, on est donc encore très loin de l’objectif de 1,8 million de crédits carbone à émettre par le GCC

A l’heure où sont écrites ces lignes, le GCC n’a approuvé des crédits carbone que pour trois projets : un parc éolien et une usine hydroélectrique en Turquie, ainsi qu’un autre parc éolien en Serbie, lesquels n’ont émis que 176 918 crédits carbone. Douze ans après l’attribution du Mondial et à trois semaines de son ouverture, on est donc encore très loin de l’objectif de 1,8 million de crédits carbone à émettre par le GCC, et encore plus loin des 3,6 millions nécessaires pour « couvrir » l’inventaire des émissions de la Coupe du monde, lesquelles sont déjà sous-estimées.

Et même si le GCC parvenait d’ici quelques années à émettre autant de crédits carbone, il est improbable qu’ils compenseraient efficacement les émissions liées au Mondial, tant il est difficile de prouver que les projets financés servent à réellement réduire les émissions. Car pour que les financements de projets aient un impact réel sur le climat, il faut qu’ils soient additionnels : il faut prouver que ces projets n’auraient pas pu voir le jour sans ces financements.

Lire aussi Le principe de compensation carbone est-il efficace ?

Or les projets de financement des énergies renouvelables que visent principalement les organisateurs qataris sont typiquement des projets difficilement additionnels, note Gilles Dufrasne, l’auteur principal du rapport de Carbon Market Watch. « Etant donné la rentabilité financière croissante des énergies renouvelables dans le monde, (…) ces projets sont susceptibles d’être menés, qu’ils permettent ou non de vendre des crédits carbone. (…) Acheter ces crédits ne génère pas de réduction supplémentaire des émissions », puisque leur financement se ferait « de toute manière ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Coupe du monde 2022 au Qatar : les raisons du malaise

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