De nombreuses vidéastes de la plateforme Twitch dénoncent le sexisme, le harcèlement quotidien, voire les menaces dont elles sont victimes depuis des années sur les réseaux.
“J’ai déjà reçu des messages d’insultes, des menaces de viol, des menaces de mort”. Que ce soit sur YouTube, Twitter, Discord ou encore par e-mail, Nat’Ali, streameuse jeux vidéo sur Twitch depuis bientôt six ans, subit un cyberharcèlement quotidien depuis ses débuts sur la plateforme de diffusion de vidéos en direct, filiale du géant Amazon.
“Ce sont des remarques insistantes sur le physique, des insultes, de l’objectification… On va très vite me ramener à mon rang de femme parce que j’ai des seins et un vagin”, décrit-elle, auprès de BFMTV.
La jeune femme évoque les harcèlements en meute perpétrés contre elle par des internautes “parce que tu as parlé d’un sujet qui ne leur a pas plu”. “Les trois ou quatre comptes Twitter qui commentent en permanence tout ce que je dis en me rabaissant et en m’insultant… C’est clairement mon quotidien”, soupire-t-elle.
Un sexisme structurel
Son récit est loin d’être un cas isolé. Depuis bientôt deux semaines, de nombreuses créatrices de contenus issues de Twitch dénoncent le sexisme, les messages à caractère sexuel, les menaces de viol et de mort ainsi que les montages photo ou vidéo qu’elles reçoivent chaque jour sur les réseaux sociaux et les plateformes.
Une vague de dénonciations dans le sillage de celle de Maghla, l’une des streameuses les plus suivies de France avec 700.000 abonnés sur Twitch. Lundi 24 octobre, à bout de nerfs, la vidéaste publie une série de messages dans lesquels elle expose les contenus haineux qu’elle affronte quotidiennement sur internet.
“Je vis le sexisme depuis que j’ai commencé sur la plateforme”, confirme Manonolita, streameuse sur Twitch depuis 2016, à BFMTV.
A ses débuts, la jeune femme est une joueuse régulière de Counter Strike: Global Offensive, un jeu de tir dont le public est majoritairement masculin. Mais ses performances sont systématiquement remises en cause par des hommes du fait de son sexe.
“Je n’avais pas le droit à l’erreur. Sinon, ils me reprochait d’être nulle parce que j’étais une fille. Je devais toujours faire mes preuves”, déplore-t-elle.
Elle décide de diversifier ses sujets de prédilection et commence à organiser des débats auprès de sa communauté sur différentes thématique comme le droit à l’avortement ou encore le féminisme.
“Un jour, j’organise un débat consacré à la sexualité. Tout ce qu’il y a de plus basique. Mais des internautes m’insultent de pute et de salope parce que je parle de sexe et que je suis une femme. Et quand je fais des directs dédiés à la cuisine, il y a toujours une ou deux personnes qui commentent en disant: ‘enfin une femme qui a compris sa place et son devoir dans la vie'” explique Manonolita à BFMTV.
“Les pompiers ont débarqué chez mes parents”
Une violence qui, parfois, déborde du cadre virtuel des réseaux sociaux pour faire irruption dans la réalité. Deux ans auparavant, la streameuse est victime d’une importante vague de harcèlement dont le point d’orgue est un swatting, un canular téléphonique malveillant, organisé par ses harceleurs.
“La police et les pompiers ont débarqué chez mes parents car mes harceleurs ont appelé pour dire que j’avais fait une tentative de suicide” raconte-t-elle.
Face à ce déferlement de haine, la streameuse finit par faire une dépression. Aujourd’hui, si elle affirme avoir pris du recul sur les réseaux sociaux et les plateformes, Manonolita regrette toutefois l’absence criante de modération dans ces espaces d’expression.
“Tant qu’il n’y en aura pas, cela va continuer d’empirer. Je n’ai pas trouvé d’autres solutions que de bloquer ces gens” déplore-t-elle.
Attention permanente
A 26 ans, Lixi, est streameuse de jeux vidéo sur Twitch depuis deux ans. Elle présente également des émissions de radio libre sur la plateforme. Comme ses homologues féminins, elle reçoit régulièrement des messages privés insultants.
“Sale pute, sale féministe hystérique. On menace de retrouver mon adresse. J’ai gagné récemment en visibilité et je commence à m’interroger sur l’éventualité qu’un harceleur vienne m’embêter directement dans la rue” appréhende-t-elle, auprès de BFMTV.
“Je dois faire attention à la manière dont je m’habille. Pour les interviews vidéos et les lives, je mets un tee shirt, pas de décolleté, car sinon on ne va retenir que cela et pas ce que je dis. C’est compliqué en été car j’ai envie de mettre des vêtements légers, mais je ne veux pas subir de commentaires” regrette-t-elle.
Avec à la clef, pour les streameuses, une attention permanente à apporter au moindre mouvement. “Il peut y avoir des clips diffusés sur des sites pornos. Les clips sont des passages enregistrés, issus d’un live. Résultat: certaines streameuses doivent couper la caméra quand elle se lèvent sinon leur fessier peut apparaître dans un clip” explique Lixi.
Ne plus laisser passer
Pour Nat’Ali, les influenceurs et les plateformes doivent cesser de laisser passer les remarques sexistes et chercher à pacifier par tous les moyens les chats et les commentaires.
Par ailleurs, si cette vague de témoignages de streameuses permet d’alerter le grand public et les plateformes sur leur situation, “la justice française est pour sa part complètement aux fraises. Il y a très peu de choses mises en place pour nous protéger des cyberviolences”, souligne Nat’Ali auprès de BFMTV.
“La police est dépassée et n’a pas forcément le temps, les moyens et l’envie de s’inquiéter de ces faits. Elle estime que ce n’est pas assez grave. Cela crée une culture de l’impunité”, explique-t-elle.
Une situation qui bride les femmes et les empêchent de se lancer sur Twitch, de peur de subir des cyberviolences quasi-inévitables. D’après la créatrice de contenus, les hommes ont également un rôle à jouer dans cette lutte contre la violence et le cyberharcèlement subi par les femmes sur les plateformes.
Alors que Twitch a durci sa politique de modération en janvier 2021, avec un accent particulier mis sur le harcèlement sexiste et sexuel, les résultats en la matière tardent à se faire voir presque un an plus tard.
Le cyberharcèlement est un délit puni par la loi. Les cyberharceleurs encourent jusqu’à deux ans de prison et 35.000 euros d’amende. Les menaces de commettre un délit ou un crime (viol, meurtre…) sont également punies par la loi: six mois d’emprisonnement maximum et 7.500 euros d’amende encourus.