Créateur de la chaîne YouTube Fouloscopie qui totalise plus de 350 000 abonnés, Mehdi Moussaïd est chercheur à l’Institut Max-Planck à Berlin, où il étudie le comportement des foules. Il a aussi conçu avec deux autres chercheurs l’exposition temporaire Foules, qui a ouvert ses portes à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris le 18 octobre.
Si marcher au milieu d’une foule dans une rue piétonne paraît anodin, c’est pourtant un phénomène loin de l’être. Avec une vue d’ensemble sur les piétons, un mouvement collectif ressort, et peut être ensuite mis en équations. De même pour certains grands événements, qui rassemblent des centaines ou milliers d’individus. C’est ce que fait Mehdi Moussaïd, créateur de la chaîne YouTube Fouloscopie et chercheur à l’Institut Max-Planck à Berlin, où il étudie le comportement des foules. Une discipline peu connue, pourtant à l’interface entre de nombreux domaines. Et qui ne concerne pas que les humains, loin de là ! Par exemple, « le comportement d’un troupeau de moutons que l’on fait sortir d’une bergerie par une petite porte est le même que celui de l’évacuation d’une pièce, ou celui des grains de riz dans un entonnoir », détaille Mehdi Moussaïd.
Mais c’est aussi le sujet principal de la toute nouvelle exposition temporaire Foules de la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. « L’exposition traite deux axes de recherche : le déplacement des foules, dans une rue ou dans des rassemblements comme le pèlerinage à La Mecque, et la propagation des rumeurs et des informations », décrit Mehdi, qui est aussi commissaire scientifique de l’exposition. Au programme, différentes salles analysant la dynamique de foules plus ou moins denses, avec pour chacune, des « capsules » invitant le public à expérimenter le phénomène en direct.
La saison culturelle 2022-23 à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. © Cité des sciences et de l’industrie, YouTube
Tout est une question de densité
Le critère déterminant : la densité. Exprimée en individus par mètre carré, elle devient dangereuse à partir du seuil de 6 personnes/m². « Une découverte qu’ont faite des physiciens après des observations des foules à La Mecque, en Arabie saoudite. Des millions de pèlerins s’y rendent chaque été, et des mouvements de foule s’y produisent très régulièrement, explique Mehdi Moussaïd. Au-delà d’un seuil de 6 par mètre carré, les personnes se touchent, donc les forces de pression se transmettent de proche en proche, jusqu’à générer des vagues de bousculades, qui peuvent faire chuter les participants et les serrer les uns contre les autres. »
Mais un autre paramètre change à mesure que la densité augmente : la façon de décrire la foule. Car passé 8-9 personnes par mètre carré, le seuil à partir duquel les individus n’ont plus assez de place pour respirer, la foule se comporte comme un gigantesque fluide. « Dans les années 1970 on s’est rendu compte qu’à ce niveau-là, la psychologie des foules n’entre même plus en compte, la foule est seulement décrite par la mécanique des fluides. Si on descend un peu la densité, on passe à la physique granulaire, comme lorsque des grains de riz tombent dans un entonnoir, ou que des personnes veulent évacuer une pièce remplie, par une petite porte », complète-t-il.
Mais si le terme « foules », évoque souvent en premier lieu les mouvements de foule qui causent de nombreux morts, comme la bousculade à Séoul qui a tué plus de 150 personnes samedi 29 octobre 2022, il englobe aussi de nombreuses autres notions. Mehdi Moussaïd étudie ainsi la transmission d’informations à travers diverses expériences, notamment sur sa chaîne YouTube, mais aussi grâce à Twitter ! « Twitter a été une véritable révolution dans les années 2000 : on peut y voir en direct les connexions entre les personnes, les réseaux qui se forment, comment circule l’information », explique Mehdi Moussaïd. Une observation qui peut ensuite être modélisée de la même façon que la propagation d’épidémies ! « Les jugements se transforment : si l’on est entouré de personnes qui pensent la même chose, c’est contagieux, et on finit souvent par être d’accord. Ce type d’interaction peut être décrit par des modèles épidémiologiques », complète-t-il.
“N’importe quelle paire d’individus sur Terre peut être connectée par six poignées de main”
Avant les réseaux sociaux, d’autres expériences à grande échelle ont permis d’établir la théorie des six degrés de séparation : « n’importe quelle paire d’individus sur Terre peut être connectée par six poignées de main », affirme Mehdi Moussaïd. Une valeur prouvée par Stanley Milgram dans les années 1960, alors que l’hypothèse avait été établie en 1929 par Frigyes Karinthy. « L’expérience a consisté à envoyer une lettre à un volontaire avec le nom d’une personne et quelques informations. S’il la connaissait, il lui envoyait la lettre. Sinon, il l’envoyait à une personne susceptible de la connaître », décrit Mehdi Moussaïd.
En comptant le nombre de tampons de la poste, additionné à des notes envoyées par chaque personne, il est parvenu à établir une moyenne de six intermédiaires. « Cette propriété a ensuite été attribuée au fait que dans notre réseau social, on trouve des individus “hub”, des connecteurs : ce sont des personnes qui connaissent plus de monde que les autres en moyenne, et permettent d’en relier un grand nombre, complète Mehdi Moussaïd. On pourrait comparer ces interactions au voyage en train : pour aller d’une petite ville à une autre, il suffit de passer par Paris, qui joue le rôle de connecteur. »
Les limites de l’intelligence collective
Enfin, il reste un autre aspect de la foule, dont l’étude est plus récente, et bien loin d’être terminée : l’intelligence collective. Elle peut s’évaluer par diverses expériences, comme celle que mène Mehdi Moussaïd avec les abonnés de sa chaîne. « J’ai lancé des parties d’échecs collectives avec mes abonnés, explique-t-il, dans le but de mesurer l’intelligence collective qui en découle. On ne connaît pas ses limites pour l’instant, c’est une discipline très prometteuse. » Par exemple, « le pliage d’une protéine est resté une énigme pendant 10 ans, de nombreux chercheurs travaillaient dessus, sans trouver la solution. Ils ont ensuite proposé aux internautes de plancher dessus : l’énigme a été résolue en une semaine », complète Mehdi Moussaïd. Parfois cependant, le processus ne fonctionne pas, notamment « quand une personne canalise trop l’attention mais dans la mauvaise direction, le groupe peut se faire entraîner ! »