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Peser, composter, lutter contre le gaspillage… Comment Besançon veut vider ses poubelles


En France, chaque habitant produit en moyenne 580 kg de déchets par an. Si certains finissent recyclés, une grosse partie termine dans d’immenses décharges, brûlés ou enfouis, générant son lot de pollution et de gaz à effet de serre. Alors que les émissions de CO2 seront au centre des discussions lors de la COP27 en Égypte, à Besançon, dans l’est de la France, plusieurs mesures concrètes sont déjà mises en place pour tenter de vider les poubelles.

Presque 7 h, dans le quartier de Velotte, dans le sud de Besançon. Sous la pluie, Jony et ses deux collègues sont en pleine collecte des poubelles grises, celles – en théorie – composées des déchets ménagers donc non recyclables et destinés à être brûlés. Autour du camion-benne, le processus est bien huilé, les gestes presque mécaniques : le véhicule s’arrête devant une petite maison au portail rouge, les éboueurs sautent, attrapent un bac gris et versent les ordures. Au volant, Jony a les yeux scrutés sur un petit écran qui indique, la date, un numéro et un poids, ici, 20 kg.

Une donnée qui aura un impact sur la prochaine facture des habitants de la maisonnette. Depuis 2012, la métropole du Grand Besançon, où habitent 192 000 personnes réparties sur 68 communes, a mis en place une taxe incitative sur les déchets. Toutes les poubelles grises de son territoire sont équipées d’une puce électronique affiliée à un numéro de contrat. Les camions-poubelles, eux sont dotés d’un outil de pesée. Un système informatique permet ensuite de récolter toutes les données. 





Principe du pollueur payeur

“La redevance est divisée en deux avec une part fixe, qui comprend les frais de service notamment pour les collectes, et le recyclage, et une part variable liée au poids de la poubelle grise”, détaille Daniel Huot, élu chargé de la gestion des déchets. Autrement dit, moins on produit de déchets, moins on paie. 

“En 2008, mes prédécesseurs se sont retrouvés devant un dilemme : rénover ou non l’un des deux fours de notre incinérateur”, raconte l’élu. “Pour des raisons environnementales et sanitaires, ils ont fait le choix ambitieux de le fermer et de mener une politique de réduction des déchets.” Dix ans plus tard, le pari est réussi, juge-t-il. La quantité d’ordures ménagères incinérées est passée de 53 000 tonnes en 2004 à 30 000 tonnes en 2021, selon le rapport annuel du syndicat mixte, le Sybert, chargé du traitement des déchets dans la métropole. Le four a ainsi pu fermer ses portes comme prévu en décembre 2021. Plus parlant encore, un habitant du territoire produit désormais 143 kg de ces déchets en moyenne, contre 249 kg par personne à l’échelle nationale.

Un système qui peine à s’implanter

“Ce système de redevance incitative existait déjà ailleurs, mais uniquement dans des zones rurales. Besançon a été le premier territoire de plus de 50 000 habitants à le mettre en place”, explique Mathieu Durand, enseignant-chercheur au CNRS et à l’université du Mans et spécialiste des déchets et de l’économie circulaire, joint par téléphone. En 2009, il était appliqué dans une trentaine de collectivités. En 2021, 200 collectivités supplémentaires l’ont mis en place, pour un total de 6 millions d’habitants, mais à part Besançon, celles-ci restent de taille modeste. 

“D’autres grandes villes envisagent de suivre l’exemple, notamment Grenoble, Bordeaux et Versailles mais c’est une décision difficile à prendre. En fonction des ménages, la redevance ne va pas nécessairement s’accompagner d’une diminution des coûts”, poursuit-il. “On a vu, dans certains territoires, des maires ne pas être réélus en partie à cause de ça !” Sur cette épineuse question du coût, “la redevance moyenne par habitant s’élève à 72 euros, contre 89 euros à l’échelle nationale”, répond Lloys Monllor, directeur du Sybert. 

“Pour pallier cette crainte, la condition sine qua non était de mettre en place des outils concrets pour aider la population à réduire ses déchets”, explique Lloys Monllor. Parmi eux, il a surtout misé sur le compostage. Depuis 2012, des grands bacs à compost sont apparus en bas des immeubles et en plein centre-ville, où ils sont installés dans des chalets en bois au milieu des bars, commerces et restaurants. Les riverains peuvent venir y jeter leurs épluchures de fruits et légumes sous l’œil avisé de “référents compost”, formés par le syndicat mixte. Les usagers peuvent ensuite s’en servir pour leurs jardinières ou leur potager, le reste termine dans les espaces verts.





En immeuble, une redevance peu visible

Si Besançon peut ainsi se targuer de ses bons résultats, la redevance incitative trouve tout de même ses limites. À quelques pas de la place Granvelle, en plein cœur du centre-ville, Sophie et Aurore sont plongées dans des travaux de rénovation dans un local commercial acheté il y a quelques mois. Le 1er décembre, elles y ouvriront un café-librairie, l’Interstice, un lieu “solidaire, écologique et le plus possible sans déchet !”, s’enthousiasment-elles de concert. Partenariats avec des producteurs locaux, système de consigne pour les boissons fraîches, produits achetés en vrac, livres d’occasion… Les deux amies et leurs deux associées n’ont rien laissé au hasard pour limiter au maximum leur empreinte écologique.

Sensibilisées à la question des déchets depuis plusieurs années, elles sont toutes les deux ravies des mesures mises en place par la Métropole et le Sybert. “On sent que le maximum est fait pour nous faciliter la vie. Pouvoir apporter notre compost juste en bas de chez soi, c’est un vrai luxe !”, poursuit la jeune brune de 31 ans, qui explique, d’ailleurs, que c’est la présence d’un compost au pied de l’immeuble qui l’a motivée à s’installer dans son appartement actuel. 

Sophie et Aurore ouvriront prochainement un "café-librairie" dans une logique zéro-déchet dans le centre-ville de Besançon.
Sophie et Aurore ouvriront prochainement un “café-librairie” dans une logique zéro-déchet dans le centre-ville de Besançon. © Cyrielle Cabot, France 24

“Et selon moi, la redevance incitative est le système le plus logique”, assure Sophie. “Mon seul regret, c’est qu’en tant que locataire dans un immeuble, je n’ai aucun moyen concret de savoir exactement combien me coûtent mes poubelles, c’est dilué dans les charges. En ayant du mal à se rendre compte, je suppose que cela devient moins incitatif pour des personnes peu sensibilisées.”

“Nous, on en discute à chaque réunion de co-propriété”, s’exclame Aurore, le pinceau encore à la main. “Et devant la facture, on regarde toujours un peu de travers les parents avec des bébés. On sait que c’est la faute des couches si les poubelles sont lourdes”, avoue-t-elle, en riant. 

Un constat que partage Jony, depuis le volant du camion-benne. “Globalement, les poubelles des maisons sont mieux triées. En immeuble, il nous arrive bien plus souvent de refuser des sacs jaunes mal triés ou à l’inverse de jeter du recyclage en poubelle grise”, témoigne-t-il. Le problème est encore plus prégnant dans les logements sociaux, où la somme est répercutée à discrétion des bailleurs sociaux, rendant très difficiles pour les locataires de s’y retrouver. “Il faudrait trouver une solution pour que la redevance figure plus clairement dans nos charges”, propose Sophie. De son côté, la Métropole et le Sybert ont lancé une expérimentation en 2020 dans les immeubles du quartier populaire de Planoise, dans l’ouest de la ville, en installant des conteneurs à recyclage à l’extérieur des immeubles. 

“Il faut réduire les déchets à la source”

“Moi j’aimerais surtout qu’on aille plus loin”, poursuit Aurore. “Réduire les déchets de la poubelle grise c’est bien, mais il faut surtout réduire tous nos déchets, en favorisant la récup’, la réparation, les consignes…”, martèle-t-elle. 

“La redevance, le compost, c’était une bonne étape. Mais cela fait dix ans, maintenant il ne faut pas se reposer sur ses lauriers”, abonde Jérôme Cherer, co-fondateur de l’antenne bisontine de l’association Zéro Déchet. “La redevance incitative a surtout encouragé les habitants à mieux trier. C’est très bien. Mais il faut aussi diminuer le contenu des sacs jaunes”, insiste-t-il. 

Au Sybert, Lloys Mollor l’assure, réduire la quantité globale de tous les déchets est le prochain défi. Alors le syndicat mise sur toujours plus de prévention. Ateliers de sensibilisation au tri, conférences zéro déchets, distribution de couches lavables, vente de gobelets réutilisables pour les événements… tout est bon pour inciter les usagers à changer leurs habitudes. 

“D’abord, il faut continuer à vider les poubelles grises”, explique-t-il. En mai 2021, l’organisme en a décortiqué le contenu. Le résultat parle de lui-même : sur les 136 kg produits par habitant, il reste 31 kg de déchets recyclables, 17 kg de déchets compostables, 13 kg de gaspillage alimentaire ou encore 12 kg de couches jetables. “En triant mieux, en continuant de sensibiliser sur le gaspillage, en continuant à généraliser les couches lavables, on pourrait faire descendre le poids du bac gris à 51 kg par an et par habitant “, assure-t-il. À noter qu’à lui seul, le gaspillage alimentaire coûte 16 milliards d’euros par an et génère inutilement 15,3 millions de tonnes de CO2, soit 3 % des émissions nationales, selon l’Ademe.

Côté recyclage, l’organisme a investi 800 000 euros en 2016 pour améliorer son centre de tri, lui permettant de gérer l’ensemble des emballages plastiques, plaide encore le directeur. “Mais le meilleur déchet est encore celui qu’on ne produit pas”, martèle Jérôme Cherer, co-fondateur de Zéro Déchet Besançon. Installé sur le canapé marron, chiné dans un magasin d’occasion, dans les locaux de cette SCOP, il appelle à “être beaucoup plus offensif sur la réduction des déchets à la source.”

“Il y a plein de stratégies possibles : la Ville pourrait conditionner la tenue de certains événements, comme le marché de Noël, au respect d’une charte écologique. On pourrait ouvrir un lieu de réparation, de réemploi et de récupération. Et pourquoi pas, à terme, taxer les bacs jaunes ?”, propose-t-il.





Assis à côté de Jérôme, Younes et Guillaume, ont une autre proposition. Ces deux entrepreneurs de 34 et 35 ans, à l’allure athlétique, sont en train de lancer à Besançon “En boîte ton plat”, une start-up proposant un système de consignes, avec des contenants en verre, pour la vente à emporter dans un réseau de restaurants. De quoi réduire les 600 millions d’emballages à usage unique, selon les chiffres de la Transition écologique, consacrés à cet effet chaque année.

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Written by Stephanie

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