Depuis plus de 20 ans, les Sims permet aux internautes du monde entier de créer foyers et maisons, mais aussi de s’imaginer une vie, la sienne ou celle des autres. Une façon de s’inventer une vie de rêve qui interroge sur le rapport qu’entretiennent les joueurs avec le jeu. Au-delà d’être un moyen de s’évader, Les Sims devient aujourd’hui un outil pour psychologues et spécialistes d’étudier l’espèce humaine en profondeur.
Avoir un nez plus fin, une villa de rêve ou tout simplement être riche: beaucoup en rêvent, Les Sims l’ont fait. Le jeu d’EA Games permet depuis sa sortie en 2000 de se créer une autre vie, de fantasmer, d’innover, d’explorer et d’en découvrir plus sur soi.
Dans cette saga iconique qui simule la vie au quotidien sur son ordinateur, il est possible de créer des avatars, construire et décorer des maisons et surtout faire vivre ce monde virtuel au travers d’interactions, boulots en tous genres et lieux de rencontre. Dernière nouveauté en date: la possibilité de choisir l’orientation sexuelle de ses Sims, ainsi que leurs pronoms pour plus d’inclusivité.
Des innovations qui suivent depuis plus de 20 ans les évolutions de la société et permettent aux joueurs de multiplier les aventures de vie. Certains choisissent de se créer eux-mêmes, d’autres de créer des personnages complètement inventés, caricaturaux ou tout de même inspirés de la vie réelle. Les Sims devient alors un laboratoire permettant d’imaginer sa vie, souvent rêvée.
Une découverte de soi
La mise en avant des différentes possibilités en matière d’orientation sexuelle a notamment permis à certains joueurs de comprendre assez jeune qui ils étaient vraiment. C’est notamment le cas de Gabrielle*, 27 ans, qui joue depuis près de vingt ans aux Sims. La jeune brune apprécie ces moments de découverte que lui ont offert le jeu, surtout lorsqu’elle était plus jeune.
“C’est avec les Sims 2 que j’ai compris que deux femmes ou deux hommes pouvaient se marier, à une époque où la représentation de l’homosexualité n’était pas très développée.”
Une manière pour la jeune femme d’en découvrir plus sur elle, même de manière un peu dissimulée: “Je savais déjà sans me l’avouer que j’étais bisexuelle et Les Sims a été un peu ma cachette” raconte-t-elle.
“J’avais mon ordinateur et pendant les vacances j’étais enfermée dans ma chambre et je ne jouais qu’à ça” se souvient-elle. “Ma mère ne venait pas. Et du coup je faisais que des filles qui se marient avec d’autres filles, je trouvais ça incroyable”
Les Sims permet aussi de s’ajouter quelques qualités physiques en plus. Gabrielle avoue notamment respecter sa couleur de cheveux et sa coiffure, mais peut-être pas sa morphologie. “Je vais me faire aussi un petit kiff en changeant la couleur de mes yeux” s’amuse la jeune femme.
“On se regarde se regarder”
Mêmes ajustements chez Elodie, 22 ans, blonde aux yeux bleus. Pour elle, il est toujours de rigueur de modifier un peu son apparence: “Je fais toujours des Sims avec des traits plus fins que moi et une coupe de cheveux que je voudrais me faire.”
Le jeu a aussi été un moyen de changer son rapport aux autres: “J’ai pu remarquer, avec les différents types d’interactions, que certaines de mes actions dans la vraie vie étaient interprétées d’une certaine façon, en fonction de la catégorie dans laquelle elles se trouvaient dans le jeu.”
Chaque action dans Les Sims est en effet catégorisée selon son approche. On retrouve ainsi cinq types d’interactions possibles: “Amical”, “Amour”, “Drôle”, “Malice” et “Méchant”.
“Certains de mes comportements étaient rangés dans les catégories Malice ou Méchant par exemple” glisse-t-elle.
Et ces différents agissements ne sont pas dus au hasard. “Les Sims est un théâtre externalisé de soi-même” explique Vanessa Lalo, psychologue clinicienne spécialiste des jeux vidéo et des pratiques numériques. “Le jeu est un reflet de notre monde interne qui permet à la fois l’identification et la projection”.
“On a ainsi une mise en abîme du regard que l’on porte sur soi-même. On se regarde se regarder” poursuit la psychologue.
Michael Stora, psychologue ayant longtemps travaillé avec le jeu, est du même avis : “Il y a un phénomène de projection qui est très puissant dans les Sims. On a un feedback émotionnel en temps réel puisque le joueur voit les réactions que ses actions ont sur les autres et sur lui-même.”
La thérapie par les Sims
Difficile d’imaginer qu’un simple jeu vidéo puisse être un réel outil thérapeutique. Et pourtant Les Sims permet depuis des années de résoudre de nombreux problèmes psychologiques et mentaux. Michael Stora a notamment mis en place dans les années 2000 des thérapies grâce au jeu. D’après lui, Les Sims aurait le même apport que les tests de projection classiques connus à travers le monde, comme le fameux test de Rorschach et ses tâches à analyser ou le T.A.T (Thematic Apperception Test).
Lors de ces tests, le psychologue demandait ainsi aux patients de jouer pour en apprendre davantage sur eux. “On retrouve deux types de joueurs: les joueurs qui vont faire un avatar très ressemblant mais qui, pendant le jeu, vont avoir un comportement différent du leur, pas mal transgresser et frôler avec les limites du raisonnable. D’un autre côté, on va avoir les joueurs qui vont idéaliser leur avatar mais vont faire la même chose que ce qu’ils font dans la vraie vie” explique Michael Stora.
Vanessa Lalo a également pu utiliser Les Sims pour répondre à certaines questions concernant le comportement de patients. Par exemple avec un enfant de 10 ans qui avait de grosses souffrances personnelles mais dont personne ne comprenait l’origine. “Il avait construit un hôtel dans le jeu avec énormément de chambres et me disait que ça servirait pour ses amis mais que pour l’instant il n’en avait pas. C’est en allant plus loin dans son approche de jeu dans Les Sims que j’ai compris qu’il souffrait de harcèlement.”
Résoudre la dysmorphophobie
Certains problèmes peuvent toutefois être difficiles à expliquer ou à résoudre, comme l’anorexie ou les troubles des conduites alimentaires (TCA). Xavier Pommereau, psychiatre spécialiste de l’enfant en difficulté, a beaucoup utilisé Les Sims entre 2009 et 2011 pour comprendre le mal-être de jeunes adolescentes. Elles devaient alors créer leur avatar pour voir comment elles se représentaient, en particulier au niveau de la morphologie.
“Mon point de départ a été que les adolescents sont des enfants de l’image. Donc au lieu de toujours critiquer cette pratique de mise en avant de soi, autant essayer de travailler avec. En travaillant avec Les Sims, je souhaitais un support de projection en dehors des selfies” explique le psychiatre, qui note davantage de dysmorphophobie aujourd’hui, surtout à cause des réseaux sociaux.
“Aujourd’hui, 1 jeune fille sur 4 souffre d’obsessions relatives à son corps. Et près de 90% des adolescentes sont en délicatesse avec leurs corps” constate le psychiatre.
Le résultat est toutefois un peu décevant. “Au vu des graphismes peu développés de l’époque, le résultat obtenu ne correspondait pas à la réalité. Ce n’était pas un auto-portrait” déplore Xavier Pommereau. Mais la thérapie était tout de même appréciée par les jeunes adolescentes consultées, qui sont souvent très intéressées par le fait de travailler avec leur image.
Les limites d’une vie rêvée à tout prix
Mais vouloir se créer une vie idéale, même dans la vie virtuelle, a parfois ses limites. A trop vouloir aller vers la perfection, les maisons luxueuses et les traits parfaits, certains passionnés des Sims peuvent ressentir un certain malaise en retournant dans la vie réelle.
C’est le cas de Céline, 28 ans, qui joue aux Sims depuis 15 ans. “Pouvoir créer des personnages quasiment parfaits a rajouté au sentiment d’infériorité que j’ai longtemps pu avoir. On crée un monde parfait, ou presque, inatteignable dans la vraie vie. Le fait de pouvoir créer une maison de rêve, et se rendre compte qu’on ne peut pas faire la même chose dans la vraie vie, a souvent créé un sentiment d’échec pour moi.”
Et ce sentiment n’a rien d’anormal, comme l’explique Julie Escurignan, chercheuse à l’Ecole de Management de Paris et spécialiste des liens entre fans et industries culturelles: “Il y a cet aspect vie rêvée dans les Sims mais finalement il devient vite assez ennuyeux. Une fois que vous aurez votre grande maison, le jeu deviendra cathartique.”
La chercheuse poursuit en expliquant également en quoi Les Sims n’a pas forcément une vocation de projection: “Vous allez créer les gens que vous n’aimez pas, vous tuez votre patron… C’est un exutoire. Ce n’est pas vraiment la vie qu’on aimerait avoir, c’est plutôt un test de type “Et si j’avais fait un choix différent?”. Le but est surtout d’essayer autre chose, être différent, faire quelque chose qu’on ne pourrait pas faire dans la vraie vie.”
Sans limites ni jugements, Les Sims est ainsi devenu depuis deux décennies un moyen d’expression à part entière. Un lieu clos respectant l’intimité, la découverte et la délivrance des pulsions qui n’a eu de cesse d’évoluer pour suivre les tendances sociétales. Et à l’aube d’un éventuel cinquième opus, le jeu compte bien garder son statut de laboratoire de vie. “L’universalité de pouvoir se créer une vie ne changera pas, explique Julie Escurignan. On ne sait pas comment cela va évoluer mais on aura toujours envie de se créer une vie parallèle.”
* Le prénom a été modifié