En faisant de l’histoire un terrain de jeu et de découverte, le jeu vidéo recrée des éléments, des environnements et parfois des appareils qui ont disparu. Une façon de contribuer à la préservation numérique d’un patrimoine culturel mondial.
Le jeu vidéo peut être un moyen d’apprendre et de contribuer à faire perdurer la mémoire des choses. Depuis longtemps, les créateurs d’œuvres vidéoludiques se sont emparés de l’histoire comme sujet. Si certains en font parfois un usage un peu fantaisiste et approximatif pour servir un scénario sans réel souci de véracité, d’autres sont plus enclins à revisiter l’Histoire telle qu’elle s’est véritablement déroulée, avec ses acteurs, ses us et coutumes.
C’est le cas par exemple d’Ubisoft qui clame faire de “l’histoire son terrain de jeu” avec sa franchise Assassin’s Creed qui revisite l’histoire, mais avec toujours une base véridique dans les faits et les environnements. Pour cela, l’éditeur français a monté une équipe d’historiens qui passent des mois en amont de la création d’un jeu à rassembler des informations pour donner vie à une période, vérifier les éléments qui seront intégrés et s’assurer que les décors du jeu correspondent bien à l’époque qu’ils sont censés représenter.
Se balader dans l’histoire pour mieux l’apprendre
Cela a conduit les studios à donner vie aux Discovery Tours, des balades historiques et ludiques dans les décors d’Assassin’s Creed Odyssey (la Grèce antique), Origins (l’Égypte ancienne) et Valhalla (les Vikings). Sans phase de jeu et donc de combats sanglants qui rendent le jeu interdit aux moins de 18 ans, ces versions épurées sont des outils éducatifs forts et très utilisés par les professeurs d’histoire pour leurs enseignements comme base de documentation pour les élèves.
Basés sur des milliers de documents récupérés dans des musées et autres organismes à travers le monde, mais aussi sur un large travail de reconstitution fidèle, les Discovery Tours permettent de donner une vie numérique bien plus réelle d’une époque disparue et souvent invisible parmi des ruines, des vestiges ou même des documents tangibles.
Preuve s’il en est de la qualité de reconstitution des équipes d’Assassin’s Creed, des images de Venise durant la Renaissance italienne (Assassin’s Creed II) avaient été utilisées comme illustration dans l’émission historique L’ombre d’un Doute (France 3, puis RMC Story). Par la suite, la modélisation ultra poussée de Notre-Dame de Paris pour Assassin’s Creed Unity, qui se déroule durant la Révolution française a été mise à disposition des équipes en charge de la restauration du monument après l’incendie de la cathédrale en 2019. Cependant, le jeu disposant de quelques arrangements avec la réalité historique pour les besoins de l’action (la flèche de Viollet-le-Duc bâtie en 1859 était présente dans le jeu pour les besoins d’escalade du héros…), les plans ne peuvent pas être pris tels quels.
Mais, comme Versailles 1685 avant lui (1996), conçu notamment par les musées nationaux, et bien d’autres, cela reste une façon de mettre en lumière le patrimoine historique et culturel français par le biais du jeu vidéo. Au point que même la mairie de Paris s’est aussi appuyée par le passé sur ces archives virtuelles pour quelques visites de lieux.
Combler les manques
Mais le jeu vidéo peut aussi permettre de garder en mémoire des objets ou éléments voués à la disparition. Spécialisé dans la reconstitution de chars d’assaut pour les besoins de son jeu World of Tanks, Wargaming possède une très large documentation et des centaines de chars modélisés. Des archives numériques qui ont du bon: en 2017, le développeur chypriote a ainsi pu reconstituer en réalité augmentée le Sturmtiger, un char allemand de la Seconde Guerre mondiale qui avait décimé les troupes adverses. Faute d’en posséder un parmi sa centaine de tanks, mais aussi en raison du faible nombre de modèles restant dans le monde, le Tank Museum de Bovington (Grande-Bretagne) a pu l’ajouter à son exposition consacrée aux chars allemands Tiger et proposer une visite, casque de réalité mixte sur le nez.
Avec son jeu Flight Simulator, Microsoft et le studio créateur de la simulation Asobo Studio n’ont plus leurs preuves à faire en matière de numérisation et reconstitution des avions (on y trouve les très anciens Spirit of St. Louis de Charles Lindbergh — 1927, et Curtiss JN Jenny emblématique de la 1re Guerre mondiale pour les Américains — 1915) ou même du monde à survoler plus vrai que nature grâce notamment aux techniques de photogrammétrie.
“Parfois, je regarde des captures d’écran et je suis incapable de dire si c’est bien le jeu ou le monde réel”, s’extasie Jorg Neumann, directeur de la franchise Flight Simulator chez Microsoft auprès de Tech&Co. “Même à moi, ça m’arrive parfois de me tromper. On y regarde à deux fois pour vérifier et réaliser que c’est bien le jeu.” Mais ce dont le directeur de la franchise Flight Simulator est le plus fier, c’est sans doute de sa mission de préservation numérique de l’histoire de l’aviation.
“Avec ce jeu et le travail de modélisation réalisée par Asobo Studio et d’autres studios partenaires, nous avons la volonté de préserver numériquement les avions, les aéroports et même les villes”, explique-t-il. Des aéroports détruits, mais emblématiques ont ainsi été reconstruits dans le jeu comme le First Flight en Caroline du Nord qui vit le tout premier vol de l’histoire. Le Spruce Goose est également un morceau d’histoire qui prend place dans le jeu et se fera sans doute mieux connaître.
Le Spruce Goose va enfin voler grâce à Flight Sim
Rares sont sans doute ceux, au-delà des frontières américaines, qui ont déjà entendu parler de l’impressionnant hydravion voulu par l’aviateur et réalisateur Howard Hughes. Conçu pour transporter des troupes en évitant les terribles sous-marins allemands de la Seconde Guerre mondiale, il affichait des dimensions titanesques (près de 100 m d’envergure, 66 m de longueur et 24 m de hauteur), un châssis en bois et 8 moteurs ainsi que pléthore d’équipements techniques pour l’époque. Mais trop long à voir le jour, il ne connaîtra qu’un seul et unique vol le 2 novembre 1947, bien après que les combats eurent cessé.
Pour fêter ses 40 ans, Flight Simulator redonne vie numérique au Spruce Goose. Laissé dans un hangar par Hughes, propriété ensuite de Disney qui voulut s’en débarrasser au début des années 1990, il a atterri dans l’Oregon où un musée de l’aviation a été construit en 2001 pour lui. “J’ai reçu un coup de fil d’un gars du musée de l’espace et de l’aviation d’Evergreen qui m’a dit qu’ils avaient cet avion unique, si on était intéressé pour le mettre dans notre simulation”, raconte Jorg Neumann. “C’était évident qu’il nous le fallait.”
Les équipes de Microsoft ont alors eu libre accès à l’appareil pour le numériser, aux ressources historiques du musée, aux différents composants de la structure et aux plans pour tout comprendre et le retranscrire dans le jeu. “On a mis au point des outils avec Flight Simulator qui permettent d’ajouter des appareils facilement dans la base”, explique Martial Bossard, cofondateur d’Asobo Studio derrière le jeu. “Il faut ensuite juste adapter le code du jeu à un appareil très différent dans son pilotage et son rapport aux éléments extérieurs.” D’autres avions disparus ou non pourront alors se faire virtualiser facilement.
Si le musée a permis à Flight Sim d’ajouter une pièce de choix à sa galerie d’appareils, pour Tyson Weinert, PDG du musée Evergreen, c’est un partenariat “gagnant-gagnant”. “On s’aide mutuellement. Une partie de cette préservation numérique n’est pas seulement l’avion lui-même, mais toute la réflexion qui y est consacrée et son histoire. Le Spruce Goose est tout de même considéré comme l’une des 50 merveilles d’ingénierie mécanique au monde. Il avait toute sa place dans le jeu”, se félicite-t-il, voyant aussi là un moyen de faire connaître l’appareil et donc son musée.
Les joueurs vont pouvoir profiter du jeu pour faire voler le Spruce Goose “tel qu’Howard Hughes avait pensé et conçu ce prototype”. Ce ne sera sans doute pas l’avion le plus simple à manipuler, mais les équipes ont tenu à garder toutes ses spécificités telles qu’il aurait volé de nos jours. Une façon de prolonger la mémoire et faire vivre le patrimoine à travers les yeux des joueurs pour une forme d’éternité numérique.