Les désordres du monde ne peuvent qu’inviter à lever les yeux vers les étoiles. Avec le décollage de la mission Artemis-1, mercredi 16 novembre, les Etats-Unis rouvrent justement la porte vers la Lune qu’ils avaient fermée il y a un demi-siècle, en 1972, en mettant fin au programme Apollo.
Grâce aux pas de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin en juillet 1969, la démonstration de la puissance et de la technologie américaines face au rival soviétique était faite. Humiliés par l’URSS lors des mises en orbite du premier satellite artificiel, Spoutnik, et du premier humain, Iouri Gagarine, les Etats-Unis avaient pris une revanche éclatante. En pleine guerre froide, la course à la Lune était alors une manière de comparer les performances de deux superpuissances et de deux modèles de société.
Rien de tel avec le programme Artemis. Même si la Chine s’est imposée dans le paysage spatial, même si elle a mis sur pied un programme lunaire sérieux dont l’ambition affichée consiste à envoyer des Chinois fouler le sol sélénien d’ici à la fin de la décennie, elle ne constitue pas encore une concurrente dangereuse pour les Etats-Unis. Contrairement à ce qui s’est passé avec Apollo, ces derniers visent désormais plus loin. Pas question cette fois de se contenter d’exploits sans lendemain.
Raisons industrielles
Le projet est d’apprendre à vivre loin de la Terre, d’avoir une présence permanente sur notre satellite et autour de lui avec la construction d’une station orbitale, le Lunar Gateway, en coopération avec les partenaires historiques des Américains, à savoir les Européens, les Canadiens et les Japonais. Et bien sûr, si l’on fixe un horizon encore plus lointain, à se préparer pour ce qui devrait être le Graal spatial de ce XXIe siècle, le voyage vers Mars.
A plus courte échéance, le retour sur la Lune se justifie aussi beaucoup par des raisons industrielles. Ce programme lunaire est l’occasion pour les Etats-Unis d’injecter de l’argent dans leur écosystème spatial, en déléguant au secteur privé une partie des tâches qui autrefois étaient l’apanage de la NASA. C’est ainsi que SpaceX, la société d’Elon Musk à qui est déjà confié l’acheminement des astronautes américains vers la Station spatiale internationale, a décroché le droit de concevoir et de fabriquer le vaisseau qui se posera sur la Lune, vraisemblablement en 2026. L’agence spatiale américaine se comporte de plus en plus en commanditaire, et elle a aussi développé un programme qui attribue des enveloppes conséquentes à des sociétés capables de transporter des cargaisons vers la Lune.
A toutes ces raisons de retourner sur notre satellite, il faut ajouter enfin les objectifs scientifiques : seulement 4 % des terrains lunaires ont été échantillonnés lors des missions Apollo, et bien des questions se posent encore sur la formation et la géologie de la Lune. Des questions importantes si, comme le fantasment certains acteurs du spatial, on va un jour exploiter les ressources de cet astre.
La somme de ces motivations justifie-t-elle pour autant l’énorme budget attribué au programme Artemis ? Dans un rapport publié en novembre 2021, l’inspecteur général de la NASA a estimé que, d’ici à 2025, le programme aura coûté 93 milliards de dollars (89,4 milliards d’euros) aux contribuables américains. A l’heure où une récession économique menace et où le dérèglement climatique impose des investissements colossaux, l’utilité de dépenser de pareilles sommes dans le spatial habité risque de se faire moins évidente.