Le livre. Marcus du Sautoy est inquiet des progrès de la science. Ce mathématicien anglais, connu aussi pour des ouvrages de vulgarisation de sa discipline, avoue avoir été très perturbé par la victoire au jeu de go d’une machine contre un champion humain en 2016. C’est moins la victoire – qu’on n’attendait pas de sitôt tout de même – que la manière, originale, qui l’a estomaqué. L’intelligence artificielle, AlphaGo, développée par DeepMind, filiale de Google, avait imaginé un coup totalement imprévisible et hors des canons élaborés pendant des siècles par les humains. Ce choc lui rappela celui qu’il avait vécu quelque temps avant, lorsqu’un autre logiciel de DeepMind avait inventé la stratégie gagnante au jeu du casse-briques, la même qu’il avait découverte enfant. Les machines seraient-elles devenues créatives ? Pourraient-elles faire de l’art, mais aussi, plus inquiétant pour lui, démontrer des conjectures en mathématiques ?
Pour y répondre, Marcus du Sautoy propose de revenir sur les définitions de la créativité, de décrire les chemins que les programmes empruntent pour s’en approcher et d’analyser les raisons pour lesquelles les mathématiciens pourraient être « menacés » par l’intelligence artificielle.
Création par exploration ou combinaison
L’essai commence assez vite par le récit de cette victoire épique au go, puis viennent des passages vulgarisés et démystificateurs sur les algorithmes en général et l’intelligence artificielle en particulier. Suivent des chapitres très riches sur les différentes et abondantes tentatives de programmes-artistes en peinture, en musique, en chant et en littérature (avec même un paragraphe rédigé automatiquement, caché dans la lecture). En en décortiquant les secrets, on comprend finalement comment des algorithmes peuvent réussir au moins deux types de création : celle dite « par exploration » (en répétant, variant des règles et en en repoussant les limites) et celle dite « par combinaison » (mélange de style, fécondations croisées…). Infatigables, les machines peuvent aisément s’épanouir dans ces champs. A condition de trouver les règles, ce qui parfois demande aux programmeurs des astuces, mais aussi beaucoup de données.
Cela permet à l’auteur de se pencher enfin sur les maths, dont il décortique l’activité, au point de la dénuder, de la simplifier et de la « mécaniser » froidement. Et donc de la rendre prête à être imitée par une intelligence artificielle. Sauf que c’est un peu plus compliqué que cela et pour préserver le suspense, on taira la conclusion. On se contentera d’observer que sa pirouette finale est une manière originale de répondre à son inquiétude initiale, tout en ouvrant un champ riche de réflexions sur les relations entre les humains et les machines.
Il vous reste 14.69% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.