Dans le verger du village d’Ediamate, en Casamance, région située dans le sud du Sénégal, une dizaine de jeunes hommes grimpent dans des arbres de plus de six mètres de haut pour secouer les branches et faire tomber une pluie de mangues qui s’enfoncent en un bruit sourd dans le sol humide. En bas, les femmes, courbées en deux, les trient en tas qui seront embarqués par camion-remorque. « Tous les fruits marqués par des points noirs ont été piqués par des mouches. Ils sont mis de côté, car ils ne sont pas mangeables », explique Ibrahima Khaly Diatta, un des villageois qui travaille, une longue perche à la main.
La mouche des fruits, de la famille des Tephritidae, est facilement reconnaissable par ses taches jaunes sur le thorax. Originaire d’Asie, elle a d’abord été identifiée au Kenya, en 2003, avant de se répandre rapidement sur le continent africain. Elle a été détectée en Casamance un an plus tard et, depuis, fait des ravages au Sénégal, surtout pendant la saison chaude des pluies, qui coïncide avec la récolte des mangues, de mai à octobre. La femelle pique les mangues mûres pour y déposer ses œufs qui vont devenir des larves qui se nourrissent de la pulpe et font pourrir rapidement le fruit.
Ces ravageurs invasifs se propagent de plus en plus, d’abord à cause du changement climatique, avec l’augmentation des températures et la perturbation des précipitations, puis à cause des échanges commerciaux et des déplacements internationaux de plus en plus nombreux, s’alarme l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) des Nations unies.
L’impact sur les récoltes des producteurs est énorme, surtout en Casamance, qui fournit environ 60 % des 150 000 tonnes de mangues produites tous les ans au Sénégal. Dans le village de Tiobon, les producteurs estiment les pertes à plus de 50 %. « La mouche nous empêche d’avoir des entrées d’argent substantielles, alors que la mangue est notre première source de revenu », se préoccupe Malick Coly, l’un des producteurs de ce verger collectif de mille manguiers, éparpillés entre leurs maisons et le bois sacré, qui fait vivre vingt-deux familles. « Nous avons vendu le kilogramme à 150 francs CFA [environ 23 centimes d’euros]. Ce n’est pas un bon prix, mais nous voulons vendre vite, quitte à récolter des fruits moins mûrs, avant que les pluies et les mouches n’arrivent et que les mangues ne pourrissent », continue M. Coly.
Plus de 6 000 mouches piégées
Sur les étroites pistes qui vont d’un village à l’autre, Ali Ndoye, commerçant dit « bana-bana » (qui vend entre plusieurs régions), passe avec son triporteur rempli de fruits juteux tout juste récoltés. Pour lui, le risque d’arriver avec de la marchandise pourrie au marché de Dakar est élevé. « Je négocie un prix plus faible avec le producteur, car je dois prendre en compte les pertes », explique-t-il. Et le danger est encore plus grand pour les « bana-bana » qui travaillent à l’exportation vers l’Union européenne (UE), alors que la mouche des fruits est considérée comme un insecte « de quarantaine » (c’est-à-dire soumis à une réglementation stricte) et que les cargaisons doivent en arriver indemnes.
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