« En 1152, la chaleur était si intense que l’on pouvait faire cuire des œufs dans le sable. (…) En 1303 et 1304, la Seine, la Loire, le Rhin et le Danube pouvaient être traversés à pied. (…) En 1748, 1754, 1760, 1767, 1778 et 1788, les chaleurs d’été furent excessives. » A chaque vague de chaleur, en 2019, en 2020 et maintenant en 2022, le même texte circule sur des blogs ou sur Facebook pour tenter de démontrer que les périodes de canicule actuelles n’ont rien d’exceptionnel.
Ce que dit la publication
Cette énumération, maintes fois recopiée, serait parue dans « un journal anglais, le Hampshire Advertiser de Southampton, le 17 juillet 1852 ». En réalité, l’hebdomadaire britannique reprenait déjà un article du quotidien français d’information en langue anglaise, le Galignani’s Messenger, du 12 juillet 1852. Le journal dressait alors la liste, plutôt imprécise par endroits, de vagues de chaleur connues par le passé.
« Il s’agit bien d’un extrait de journal de 1852 et non pas de je ne sais quel site complotiste », insiste le post Facebook. Pour ceux qui se décrivent comme des « climatoréalistes », tous ces exemples de « vagues de chaleur extrême » et de « sécheresses catastrophiques », « à une époque où il n’y avait pas encore le moindre soupçon de début de révolution industrielle » montrent que, « à l’évidence, il n’y a rien de nouveau sous le soleil ».
Selon ce texte viral, les exemples historiques prouveraient que le réchauffement climatique d’origine humaine n’est pas en cause dans les vagues de chaleur actuelles et que celles-ci n’ont rien d’extraordinaire. Dans leur argumentaire, ces climatosceptiques invoquent un entretien de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie accordé à Libération lors de la canicule de 2003. Ce spécialiste reconnu de l’histoire du climat relativisait alors « l’actualité d’un été chaud », expliquant que « ce genre de grande sécheresse n’a pas manqué dans l’histoire française », et citant « des séries d’étés caniculaires consécutifs, des microères climatiques : 1331-1334, quatre étés de suite, 1383-1385, trois étés ». Il rappelait aussi la mortalité « spectaculaire » des étés caniculaires de l’ère préindustrielle, citant le chiffre de « 700 000 morts » sur la période 1718-1719.
Pourquoi c’est trompeur
Si les périodes de canicule ne manquent pas dans l’histoire, il faut, cependant, les recontextualiser. « A toutes les époques, les gens ont vécu des vagues de chaleur, mais elles sont toujours relatives au climat moyen de l’époque considérée et ces températures moyennes ont largement augmenté aujourd’hui », explique Françoise Vimeux, climatologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).
La scientifique cite ainsi les vagues de chaleur qui ont touché Paris au début du XVIIe siècle. Il est possible de s’appuyer sur la série des températures mensuelles en région parisienne depuis 1676, élaborée par le météorologue Daniel Rousseau, à partir d’informations laissées par les scientifiques ou les journaux de l’époque, et recoupée avec les dates des vendanges. En 1705, les températures moyennes de juin à août étaient de 18,9 °C. En 1706 et 1707, elles étaient de 19,7 °C, ce qui en faisait, à l’époque, des étés considérés comme anormalement chauds.
En comparaison, l’été 2021, qui n’a connu aucune canicule sévère, dépassait les niveaux d’il y a deux siècles, avec une moyenne de 20,2 °C à Paris entre juin et août. « Ces vagues de chaleur n’étaient pas aussi fréquentes, pas aussi longues et pas aussi intenses, appuie Françoise Vimeux. Elles ne sortaient pas autant des normes par rapport aux températures moyennes de l’époque. »
« Le réchauffement actuel va bien au-delà »
Dans le même entretien à Libération cité par la publication virale, Emmanuel Le Roy Ladurie, loin de nier le changement climatique actuel, affirmait au contraire que « l’aggravation [actuelle] du phénomène d’effet de serre est une rupture dans l’histoire du climat qui peut ouvrir une nouvelle ère climatique avec un ou deux degrés de différence. Ce qui aurait des conséquences incalculables. »
Dans une autre interview, en 2009 dans la revue Regards croisés sur l’économie, l’historien écartait aussi la théorie d’un retour au petit optimum médiéval (POM) – aussi appelé « anomalie climatique médiévale » – durant laquelle l’Europe occidentale connut des températures un peu plus douces, entre l’an 900 et l’an 1250. « Le réchauffement actuel va bien au-delà », appuyait-il, argumentant :
« Au plus fort du POM, les températures moyennes étaient – en Scandinavie du moins (…) – supérieures de 0,7 °C à leur niveau minimal du petit âge glaciaire. En 2001-2007, on a gagné en France 1,6 °C par rapport au début du XXe siècle… Bien sûr, on ne sait pas tout. En particulier, il n’est absolument pas avéré que le premier réchauffement (1911-1950) soit lié au CO2. Pour le second (post 1986), cela ne fait plus guère de doute. »
Quant au chiffre de « 700 000 morts » des étés 1718-1719, évoqué par M. Le Roy Ladurie en 2003, il est certes impressionnant, mais il ne prouve pas non plus que les vagues de chaleur étaient plus graves autrefois, car les conditions sanitaires ont évolué en deux siècles. « A l’époque, la mortalité était surtout due à la propagation d’épidémies, la dysenterie ou la fièvre typhoïde, due à la consommation d’eau insalubre, rappelle la climatologue Françoise Vimeux. Au XVIIIe siècle, il n’y avait pas les infrastructures qui font que nous sommes aujourd’hui bien moins vulnérables à une pénurie d’eau potable. » Malgré des records de chaleur jamais atteints en Europe, la canicule de 2003 a ainsi fait dix fois moins de victimes (70 000 morts, selon l’Inserm) que celles, plus faibles, de 1718-1719.