Le concept « une seule santé », plus connu sous son nom original One Health, a envahi le discours sur la santé publique. Adopter, ou mettre en avant une approche intégrée des sphères humaines, animales et environnementales pour affronter les crises sanitaires à venir tient presque lieu de figure imposée pour briguer un poste ou un financement. Tous les chercheurs en connaissent le risque : cacher une pauvre science derrière un concept riche.
L’étude que vient de publier la revue Environmental Research Letters promet, au contraire, de faire date. Pour la première fois, une équipe de chercheurs y met en évidence le lien entre l’effondrement d’une population animale et une crise sanitaire humaine. Et pas n’importe lesquels : d’un côté l’hécatombe provoquée par le champignon Batrachochytrium dendrobatidis (Bd), qui fait des amphibiens le groupe animal le plus menacé, selon l’Union internationale de conservation de la nature. De l’autre, le paludisme, un fléau responsable de 627 000 morts, en 2020.
Les chercheurs ont mis le cap sur le Costa Rica et le Panama. Avant l’arrivée de Bd en Amérique centrale, au milieu des années 1980, ces deux pays constituaient des joyaux de biodiversité amphibienne. Le champignon y a fait un carnage : 500 espèces ont décliné, 90 autres ont purement disparu. Karen Lips, de l’université du Maryland, avait suivi la crise aux premières loges. « Lors d’une discussion, nous nous sommes demandé ce qu’une telle dévastation pourrait avoir provoqué sur la santé humaine, raconte Michael Springborn, économiste de l’environnement à l’université de Californie Davis. Comme les amphibiens sont réputés manger les moustiques et les moustiques transmettre le paludisme, nous avons décidé d’aller voir ce qu’il en était des crises de paludisme dans ces deux pays. »
« Une expérimentation naturelle »
Les deux chercheurs et leurs collègues savaient pouvoir disposer de données détaillées sur la progression du champignon : année après année, les autorités locales ont répertorié son avancée, à l’échelle des 136 cantons, du nord-ouest au sud-est du Costa Rica, entre 1986 et 1993, puis d’ouest en est du Panama, de 1993 à 2010. Ils ont réuni des informations, à la même échelle, sur les cas de paludisme. Le résultat est spectaculaire : trois ans après les premiers déclins importants de grenouilles, de crapauds ou de salamandres, les cas explosent et demeurent sur un plateau élevé (plus d’une personne sur mille) pendant six ans, avant de baisser.
Le mécanisme apparaît assez évident : les amphibiens dévorent les insectes, surtout leurs larves, les têtards se gavent des œufs et des larves de moustiques flottant dans les mares. En quelle proportion ? Faute de données sur les densités de moustiques en Amérique centrale, les chercheurs avancent de rares travaux conduits ailleurs : une étude réalisée dans l’Indiana, en 2003, a ainsi montré une baisse de 98 % des populations larvaires de moustiques en présence de salamandres. Et la conclusion de s’imposer : moins d’amphibiens, plus d’insectes et donc plus de paludisme.
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