Dans un communiqué de presse daté du 10 octobre, la direction de TotalEnergies affirme que « les niveaux de rémunération moyenne des opérateurs du raffinage de TotalEnergies en France » sont de « 5 000 euros ». Plusieurs commentateurs s’en sont émus, laissant entendre qu’un tel niveau de salaire entachait la légitimité des grévistes à se battre pour leurs salaires. Sur France Inter, l’éditorialiste « libéral » Dominique Seux lançait dans sa chronique : « Il ne s’agit en aucun cas de dire que ces salaires sont trop élevés par rapport à la qualification et aux postes occupés : on ne se permettra pas de porter un tel jugement – même si j’ai une petite idée de la réaction de nos auditeurs quand ils entendent ces chiffres ! »
Dans un appel à témoignages sur la pénurie de carburants publié sur LeMonde.fr, plusieurs lecteurs jugeaient « honteuse » la mobilisation des opérateurs de raffinerie, reprenant le haut niveau de rémunération communiqué par TotalEnergies.
A l’origine du mouvement de grève dans les raffineries du groupe pétrolier français, la CGT a très mal digéré la communication du groupe. « On ne sait pas d’où sort ce chiffre, s’agace Thierry Defresne, secrétaire CGT du comité d’entreprises européen TotalEnergies SE. Ce sont des données sociales qui n’existent pas, des chiffres au doigt mouillé qui sont publiés uniquement pour salir les grévistes. »
Hakim Belouz, délégué syndical FO chez TotalEnergies, estime lui aussi que la direction du groupe tente de « monter l’opinion publique contre les salariés ». Geoffrey Caillon, délégué CFDT – syndicat n’ayant pas pris part au mouvement de grève – regrette lui aussi la communication de la direction qui « prend à témoin la France entière pour montrer que nos salaires ne sont pas si bas » et « n’aura pas tendance à calmer les esprits ».
A quoi renvoie ce chiffre de 5 000 euros par mois ?
Il faut d’abord rappeler quelques précisions : le montant de 5 000 euros mensuels bruts mis en avant par le géant des hydrocarbures correspond, selon lui, à la rémunération brute mensuelle « des ouvriers et agents de maîtrise » des raffineries et comprend notamment des primes de pénibilité, d’intéressement et de participation.
Hors primes d’intéressement et de participation – qui, en raison des bons résultats de l’entreprise, étaient en moyenne de 9 100 euros en 2022 –, TotalEnergies affirme que la rémunération mensuelle moyenne d’un opérateur de raffinerie est de 4 300 euros bruts.
Plusieurs responsables syndicaux de la CGT ont rapidement démenti ces chiffres. Emmanuel Lépine, secrétaire général FNIC-CGT, a ainsi assuré auprès de RTL que le salaire moyen d’un opérateur de raffinerie « est aux alentours de 3 000 euros », rappelant par ailleurs qu’il s’agissait de « postes à très hautes qualifications ».
Dans une vidéo publiée sur Twitter, Adrien Cornet, délégué CGT et salarié de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne), évoque plutôt une moyenne de 2 500 euros. Il insiste notamment sur le fait que ces salaires comprennent plusieurs primes liées à la pénibilité du métier, avec des équipes postées aux « trois fois huit heures, [6 heures – 14 heures, 14 heures – 22 heures et 22 heures – 6 heures] qui travaillent trois week-ends sur cinq et respirent du carburant et des produits chimiques ».
La convention collective de l’industrie du pétrole prévoit en effet des primes de quart d’un montant égal à 18 % du salaire hors prime, pour les « travailleurs postés en continu qui appartiennent à des équipes successives fonctionnant en permanence par rotation 24 heures sur 24, sans interruption la nuit, le dimanche et les jours fériés ».
Selon l’Union des industries pétrolières énergies et mobilités (Ufipem), le salaire de base d’un salarié en début de carrière dans une société de raffinage est proche de 2 200 euros bruts par mois, auxquels s’ajoute une prime de quart d’environ 540 euros. Soit 2 740 euros bruts par mois en début de carrière.
Pour un salarié ayant près de vingt ans d’ancienneté, le salaire de base se situe à environ 3 600 euros bruts, auquel il faut ajouter près de 1 200 euros de primes (dont la prime de quart et d’ancienneté, à 1 % par année d’ancienneté). Soit un salaire brut mensuel de 4 800 euros après vingt ans de carrière. L’Ufipem note par ailleurs « que 85 % des salariés de la branche ont un salaire réel supérieur de plus de 10 % aux minimums conventionnels ». Les 5 000 euros mensuels avancés par TotalEnergies semblent ainsi bien plus proches du salaire d’un opérateur de raffinerie très expérimenté que de celui d’un salarié moyen.
« Jusqu’à quel niveau de salaire a-t-on le droit de se battre pour son pouvoir d’achat ? »
Dans tous les cas, les chiffres publiés par la direction du groupe ne disent pas grand-chose de la réalité salariale dans ses raffineries françaises, une moyenne pouvant cacher de larges disparités entre les salariés. Contactée, l’entreprise n’a pas donné suite à nos demandes concernant le salaire médian dans ces raffineries.
Les responsables syndicaux contactés n’ont, eux non plus, pas souhaité communiquer précisément les chiffres des rémunérations, affirmant ne pas vouloir tomber dans le piège tendu par leur direction.
De fait, ils rappellent tous que les salariés de TotalEnergies réclament une hausse des salaires compte tenu des bons résultats de l’entreprise, qui a engrangé 10,6 milliards de dollars (10,9 milliards d’euros) de bénéfice au premier semestre 2022 et versé récemment à ses actionnaires un acompte sur dividende exceptionnel de 2,62 milliards d’euros.
La CGT réclame 10 % d’augmentation sur les salaires, dont 7 % au titre de l’inflation et 3 % pour le partage de la richesse. « Jusqu’à quel niveau de salaire a-t-on le droit de se battre pour son pouvoir d’achat ?, s’interroge Thierry Defresne. Notre force de travail vaut moins en 2022 qu’en 2021, et on devrait accepter ça ? Faut-il bouffer du rat pour avoir le droit de se plaindre de l’inflation ? » Son collègue de FO Hakim Belouz abonde : « Quand bien même notre salaire serait élevé, est-ce que ça serait un souci ? Y a-t-il une loi qui interdit de faire grève au-dessus de 5 000 euros mensuels ? »