Depuis les années 1980, nous ne cessons d’entendre que les réserves de pétrole sont en passe de s’épuiser et que nous arriverons très bientôt à la fin de l’ère pétrolière. Depuis, pourtant, et malgré le tarissement effectif de certains réservoirs, la quantité de pétrole encore disponible n’a cessé d’être réévaluée à la hausse. En cause : une amélioration des techniques d’extraction permettant l’accès à un pétrole dit non conventionnel, mais également de nouvelles découvertes dans le domaine offshore.
Sur Terre, deux grands domaines sont exploités pour la production d’hydrocarbures. Il y a le domaine terrestre (on parle de production « onshore ») et le domaine maritime (production « offshore »). Historiquement, c’est à terre qu’ont été forés les premiers puits pétroliers, en 1859. Le premier puits en mer, plus difficile à réaliser d’un point de vue technique, apparaîtra quant à lui dans les années 1890.
Si au début de l’exploitation pétrolière la production à terre était très largement majoritaire, car plus facile d’accès, la part de la production offshore a doucement évolué, parallèlement à l’amélioration des techniques de prospection et de forage, mais également de l’épuisement progressif de certains réservoirs onshore. Au début des années 2000, le pétrole offshore représente environ 30 % de la production mondiale. Il en est approximativement de même pour le gaz. Ce pourcentage est depuis resté relativement stable. Pourtant, le paysage des réserves pétrolières a bien évolué depuis le début du XXe siècle. Car si certaines réserves « classiques » semblent bien en passe de s’épuiser, de nouvelles découvertes mais également de nouvelles techniques d’exploitation viennent régulièrement réévaluer à la hausse les quantités de pétrole encore exploitables. Ceci explique pourquoi, malgré la crainte professée depuis plusieurs décennies maintenant d’un tarissement des réserves mondiales à court terme, celles-ci semblent toujours aussi bien se porter.
Un pétrole non conventionnel difficile à extraire, mais en énorme quantité
C’est un fait, les réserves d’hydrocarbures ne sont pas infinies. Pourtant, il semble compliqué de savoir dans combien de temps elles seront véritablement épuisées. Cette difficulté vient du fait qu’il existe une différence entre nos connaissances et la réalité. Les estimations des réserves d’hydrocarbures sont en effet réalisées à partir de l’état des réserves « prouvées ». Or, les réserves ultimes, celles qui existent en réalité, sont encore très mal connues. L’avancée continue de la recherche scientifique sur la compréhension des systèmes pétroliers, mais également sur les techniques d’extraction, fait que les réserves mondiales de pétrole ont en moyenne augmenté de plus de 1 % par an entre 1990 et 2005. En cause, notamment, l’exploitation de plus en plus importante du pétrole dit non conventionnel, qui vient contrebalancer la diminution des réserves de pétrole conventionnel.
Conventionnel versus non conventionnel
Les termes « conventionnel » et « non conventionnel » ne concernent pas le processus de formation du pétrole en lui-même, mais la nature du réservoir qui emprisonne le pétrole en profondeur. Dans le cas du pétrole conventionnel, les hydrocarbures sont ainsi stockés dans une roche poreuse et perméable, formant des gisements facilement exploitables par simple forage. L’exploitation du pétrole non conventionnel représente par contre une tout autre affaire. Les hydrocarbures sont en effet souvent dispersés dans des roches peu poreuses et peu perméables qui rendent difficile leur extraction. Le pétrole peut être piégé directement dans la roche-mère, comme pour les schistes bitumineux et le pétrole de schiste, ou se trouver mélangé à du sable (sable bitumineux, pétrole lourd), donnant lieu à un pétrole très visqueux qui nécessite des techniques d’extraction plus complexes. Auparavant délaissé au profit du pétrole conventionnel, moins coûteux à extraire, le pétrole non conventionnel devient de plus en plus intéressant face au tarissement progressif des réserves conventionnelles mais également aux avancées technologiques qui permettent de réduire le coût de l’extraction.
D’énormes réserves sur les continents américains
La plupart des gisements pétroliers conventionnels se trouvent au Moyen-Orient, qui dispose ainsi de près de la moitié des réserves prouvées. Par contre, l’Amérique du Sud et notamment le Venezuela sont riches en gisements de pétrole lourd et extra-lourd. Le bassin pétrolier de l’Orénoque contiendrait ainsi l’équivalent des réserves mondiales prouvées actuelles ! Le Canada concentre quant à lui les principales réserves de sables bitumineux et de leurs côtés, les États-Unis sont riches en schistes bitumineux. Malgré la forte diminution de leurs réserves conventionnelles, les États-Unis sont ainsi devenus les premiers producteurs mondiaux de pétrole, devant l’Arabie saoudite et la Russie, grâce à l’exploitation intensive du pétrole de schiste, dont les réserves semblent énormes.
Le deep offshore, challenge technique mais nouvel eldorado ?
Si l’exploitation du pétrole non conventionnel a changé le schéma des réserves onshore, l’exploitation du pétrole offshore a elle aussi connu une petite révolution depuis une dizaine d’années.
L’exploitation à grande échelle du pétrole offshore a démarré dans les années 1950. Classiquement, il s’agit de plateformes reposant sur le fond, au large des côtes bordant les océans du globe. La profondeur d’eau est alors d’environ 200 mètres et le pétrole est extrait des réservoirs nichés au sein des sédiments, à plusieurs centaines de mètres sous le fond de la mer. Ces réservoirs sont hérités de la fragmentation des continents et de l’ouverture de nouveaux océans. Cet environnement géodynamique est en effet particulièrement propice au développement d’hydrocarbures.
Un défi technique
Mais comme pour le domaine onshore, une fois les réserves facilement accessibles en passe de s’épuiser, les industries pétrolières ont commencé à se tourner vers de nouveaux gisements, situés dans des zones plus difficiles d’accès. Progressivement, l’exploration s’est donc tournée vers les domaines plus profonds, dans des zones présentant 400 à 1.500 mètres de fond, voire bien plus. On parle ainsi désormais de deep offshore, avec parfois des gisements exploités sous des couches d’eau de plus de 2.000 mètres et situés à plus de 3.000 mètres sous le fond de la mer. Véritable challenge technique, la recherche de pétrole dans ces zones très profondes a été favorisée par les avancées techniques dans le domaine de la prospection et des techniques d’exploitation, mais surtout grâce aux avancées de la recherche dans la compréhension de la structure et du développement des marges continentales.
Des réserves pendant longtemps insoupçonnées
Le deep offshore représente à présent environ 70 % des enjeux d’exploration de TotalEnergie par exemple. Parmi les principales zones en production actuellement, citons les bassins profonds situés dans le golfe de Guinée, ceux au large du Brésil, et dans le golfe du Mexique. Cet intérêt pour le deep offshore s’est emballé après la découverte, en 2006, d’un gigantesque champ pétrolier situé dans le bassin de Santos, à 250 kilomètres au large de la côte de Rio de Janeiro, au Brésil. Le réservoir est enfoui à 5.000 mètres sous le fond océanique, lui-même situé à 2.000 mètres de profondeur sous la surface de l’eau. Véritable exploit technique, le puits de Tupi (rebaptisé Lula par la suite) a révélé un gisement pétrolier si important qu’il est considéré comme la plus grande découverte pétrolière depuis 30 ans dans l’hémisphère ouest. Cet unique gisement aurait fait grimper, à lui seul, les réserves brésiliennes de plus de 60 %. Avant cette découverte, le domaine ultra-profond n’était pas considéré comme une zone susceptible de renfermer des réserves si importantes. Tupi a donc fait prendre conscience que le milieu profond pouvait renfermer d’énormes réserves jusqu’à présent insoupçonnées.
La fin du pétrole : un problème géopolitique plutôt que physique
Même si les défis de l’exploitation des gisements dans le domaine profond ou ultra-profond sont nombreux, cette activité est actuellement en plein développement et montre que l’épuisement des réserves de pétrole n’est certainement pas encore pour demain.
« L’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute de pierre, l’âge du pétrole ne s’arrêtera pas faute de pétrole », a dit un jour le cheikh Yamani, ancien ministre du Pétrole en Arabie saoudite. Et il a certainement raison. De plus en plus, la limite pétrolière apparaît en effet comme étant une problématique géopolitique et non physique. Espérer la transition énergétique en pariant sur un tarissement des réserves est donc vain. La sortie du pétrole ne se fera qu’en fonction de notre volonté et celle des gouvernements prêts à imposer un réel changement.