Josef Aschbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESAESA) a annoncé un nouveau report du premier vol d’Ariane 6Ariane 6. Il est aujourd’hui prévu vers la fin de l’année. Les plus pessimistes diront qu’il pourrait n’avoir lieu que début 2024. Quoi qu’il en soit, il faut faire avec.
Ce report ne nous surprend pas. Si ni l’ESA ni ArianeGroup n’ont souhaité entrer dans les détails sur ce qui a exactement causé ce dernier glissement d’Ariane 6 du début à la fin de l’année 2023, il faut savoir qu’il y a quelques semaines, Daniel Neuenschwander, directeur du transport spatial à l’Agence spatiale européenne, nous avait préparés à cette annonce (Lire l’article ci-dessous). Il avait expliqué les difficultés rencontrées dans le développement d’Ariane 6 et la préparation de son premier vol.
Le saviez-vous ?
Le lanceur n’est pas en service que déjà il est question de le moderniser avec des performances améliorées de 20 % pour les lancements en orbite basse.
Pendant quelques mois, l’Europe n’aura plus un accès autonome à l’orbite géostationnaire
Ce nouveau report, additionné à l’arrêt de la coopération spatialecoopération spatiale entre l’Europe et la Russie, qui nous prive de l’utilisation du SoyouzSoyouz, et la fin de l’aventure Ariane 5Ariane 5, met à mal l’autonomieautonomie de l’Europe en matièrematière d’accès à l’espace. Dès avril 2023, elle n’aura plus de lanceurlanceur en service capable d’atteindre l’orbite géostationnaireorbite géostationnaire, à près de 36.000 km de la Terre. En effet, les trois dernières Ariane 5 seront lancées entre mi-décembre 2022 et avril 2023.
Pendant cette période qui devrait durer au mieux six mois, l’Europe devra compter sur les lanceurs de SpaceXSpaceX, voire ceux de l’ISROISRO. Or, en 2023, Ariane 6 devait lancer le télescope Euclid (étude de la matière noirematière noire), Earthcare (bilan radiatif terrestre) et deux satellites Galileo, le GPS européen. Arianespace ne pourra donc pas les lancer au mieux avant en 2024 ou 2025. Une situation qui contraint l’ESA à envisager d’utiliser un Falcon 9Falcon 9 de SpaceX pour lancer EuclidEuclid.
Sur le plan commercial, avec 29 contrats signés, dont 18 avec AmazonAmazon pour déployer une partie de la constellation Kuiper, ce report ne semble pas affecter la commercialisation du lanceur. 75 % de ces contrats sont des missions commerciales, les 25 autres des missions institutionnelles.
Le pari perdu d’une transition courte
Étonnamment, il est très peu question de la décision prise d’arrêter la production des lanceurs Ariane 5 alors qu’Ariane 6 n’existait que sur papier. À l’époque, il était question d’une transition entre Ariane 5 et Ariane 6 de seulement trois ans ! Une décision qui avait surpris plusieurs experts qui se rappelaient que la transition entre Ariane 4 et Ariane 5 avait duré 7 ans au cours de laquelle Ariane 5 avait connu deux échecs et deux partiels. Pour rappel, la première Ariane 5 a été lancée en juin 1996 (échec) et la dernière Ariane 4 en février 2003 (V159).
Article de Rémy DecourtRémy Decourt publié le 19/09/2022
Retards, vol inaugural, calendrier, conflit russo-ukrainien, évolution future, vols habitésvols habités… Daniel Neuenschwander, le directeur du transport spatial à l’Agence spatiale européenne, répond à toutes les questions que vous vous posez concernant Ariane 6.
Initialement annoncé par l’industrie à l’été 2020, le premier vol d’Ariane 6 a été reporté à une date qui sera annoncée à la fin du mois en raison de la Covid-19Covid-19, de difficultés imprévues propres au développement de tout nouveau lanceur et de retards dans des essais réalisés à Lampoldshausen, en Allemagne, et au Centre spatial guyanaisCentre spatial guyanais.
Pour l’Agence spatiale européenne (ESA), le retard de la mise en service d’Ariane 6 complique l’organisation de son calendrier des lancements, fragilisé par l’abandon des lancements Soyouz depuis Kourou. À cela s’ajoute que l’ESA doit aussi tenir compte des missions commerciales, avant tout du contrat de 18 lancements signé entre Arianespace et Amazon afin de déployer une partie des satellites de la constellationconstellation Kuiper. Un contrat qui va limiter les créneaux de lancement disponibles car le système Ariane 6 a été dimensionné initialement pour réaliser un maximum de 12 missions chaque année.
Mais, si la plupart des satellites européens que devait lancer Soyouz devraient l’être par Ariane 6 ou Vega CVega C, l’ESA sera tout de même contrainte d’utiliser des services de lancement non européens pour un certain nombre d’entre eux.
La parole à Daniel Neuenschwander, directeur du transport spatial à l’Agence spatiale européenne.
Futura : Comment expliquez-vous les retards d’Ariane 6 ? Je ne pense pas que la Covid-19 ou des difficultés imprévues dans des essais ou le développement du lanceur les expliquent tous. Peut-être que l’assouplissement du principe du retour géographique engagé avec Ariane 6 n’est pas suffisant…
Daniel Neuenschwander : Non, je ne pense pas que la contrainte du retour géographique soit un frein dans les difficultés actuelles rencontrées dans la phase finale du développement d’Ariane 6. Avant d’expliquer ces retards, il me paraît intéressant de faire un point sur l’état d’avancement d’Ariane 6. Cet été, nous avons débuté les essais combinés d’Ariane 6 et réalisé deux étapes importantes. Il y a eu la verticalisation du corps central d’Ariane 6, composé de l’étage principal et de l’étage supérieur, sur son pas de tir. Nous avons aussi qualifié en vol le P120C avec le vol inaugural de Vega C. Pour rappel, le P120C est un moteur à propergolpropergol solide qui sera commun aux lanceurs Ariane 6 et Vega C. Si Vega C l’utilisera comme étage principal, la famille Ariane 6 l’utilisera comme boostersboosters. Il équipera à la fois Ariane 6, dans ses versions Ariane 62 à deux boosters et Ariane 64 à quatre boosters.
Concernant les retards, si effectivement la crise sanitairecrise sanitaire de la Covid-19 n’explique pas à elle seule le retard d’Ariane 6, il faut tout de même garder à l’esprit que le fonctionnement des usines et des centres de développement de la chaîne industrielle d’Ariane 6 a été fortement perturbé et ralenti pendant cette période. Il faut aussi savoir que nous avons rencontré un certain nombre de difficultés imprévues, comme dans le développement du système de déconnection cryogénique, qui relie le lanceur à la tour de lancement, et dans le développement de l’unité de puissance auxiliaire (APU) dont la réalisation s’est avérée plus complexe que prévu. Il s’agit d’un petit étage multi-rôle qui donne plus de flexibilité à Ariane 6 et qui doit permettre de pénétrer le marché des constellations de satellites. Cet équipement n’était pas prévu dans la conception initiale d’Ariane 6, mais est un facteur de compétitivité non négligeable.
À cela s’ajoutent des retards dans les essais à feufeu du nouvel étage supérieur. C’est une vraie difficulté. Ces essais sont menés à Lampoldshausen, en Allemagne, par le DLRDLR et ArianeGroup sur un nouveau banc d’essais. Nous avons besoin de réapprendre en Europe à maîtriser les essais à feu d’un étage supérieur cryotechniquecryotechnique. Nous avons pratiqué pour la dernière fois ce type d’essai voici plus de 40 ans, dans le contexte d’Ariane 1, à l’époque à Vernon.
Futura : Quelles sont les étapes qui restent à réaliser avant le premier vol d’Ariane 6 ?
Daniel Neuenschwander : La grande étape en cours ce sont les essais combinés en Guyane, qui ont débuté depuis plusieurs semaines et avec un jalon clé franchi le 11 juillet. Ils consistent à s’assurer du bon fonctionnement dans l’interaction entre le lanceur et le pas de tir (Ela-4) et à tester toutes les procédures opérationnelles de la base de lancement relatif à Ariane 6. Ces essais vont nous occuper jusqu’à la fin de l’année et comprendront des essais de mise à feu du Vulcain 2.1 dont un qui sera représentatif d’un vol de l’étage principal, soit 500 secondes.
Suivra ensuite des revues qui permettront d’initier la campagne de lancementcampagne de lancement du premier vol (Flight model 1) qui visera une orbiteorbite basse. Le deuxième vol, mettra en orbite deux satellites Galileo, sur une orbite moyenne. Ces deux vols au profil de mission très différents visent à contribuer à la qualification progressive d’Ariane 6 et à démontrer la versatilité du lanceur.
Futura : À quelle date prévoyez-vous ce premier vol ?
Daniel Neuenschwander : Nous communiquerons la date exacte fin septembre. D’ici là, plusieurs jalons programmatiques sont susceptibles d’influer la consolidation du planning de lancement.
Futura : La période de transition entre Ariane 5 et Ariane 6 sera très réduite, voire inexistante. Y a-t-il un risque que l’Europe soit sans accès à l’espace pour ses satellites ?
Daniel Neuenschwander : Il est clair que pour certaines charges utiles institutionnelles le problème se pose. L’abandon des lancements de Soyouz en Guyane nous contraint à revoir notre planning pour cinq missions européennes qui devaient être lancées depuis la Guyane avec Soyouz. Nous explorons aujourd’hui différentes solutions. En priorité absolue, la possibilité de lancer avec Ariane 6, voire avec Vega C, moyennant un certain nombre d’adaptations. En deuxième priorité, seulement des options non européennes. In fine, il faudra trouver des alternatives crédibles répondant au mieux aux périodes de lancement prévues.
Futura : Vega C peut-elle être une solution de remplacement ?
Daniel Neuenschwander : Oui, nous envisageons l’option Vega C pour une mission dont la performance et l’orbite le permettent. Vous pouvez envisager ce type d’alternative pour certains satellites en orbite basse, typiquement des satellites d’observation de la Terreobservation de la Terre. Ce n’est pas une alternative par contre pour lancer des satellites de navigation, par exemple comme Galileo.
Futura : L’ESA sera-t-elle contrainte d’utiliser les services de lancement SpaceX ?
Daniel Neuenschwander : Aujourd’hui, nous devons considérer toutes les possibilités pour nos missions. D’ailleurs la Convention de l’ESA prévoit ce cas de figure et comment le gérer. D’ici fin septembre nous proposerons un calendrier de lancement consolidé qui précisera la date de lancement et le lanceur attribué à chacun des satellites. La décision finale sera prise par nos États membres.
Futura : La durée de vie d’Ariane 6 dans son architecture actuelle sera bien plus courte que celle d’Ariane 5. L’ESA travaille sur ses successeurs. Pouvez-vous faire le point sur l’état d’avancement des différents programmes en cours ?
Daniel Neuenschwander : Effectivement, différentes briques technologiques sont en cours d’acquisition. Aujourd’hui, on note une accélération massive dans le secteur au niveau mondial et il est crucial que l’Europe apporte ses réponses. C’est pourquoi on développe le moteur réutilisable PrometheusPrometheus qui sera jusqu’à dix fois moins cher que l’actuel moteur Vulcain qui équipe Ariane 5 et bientôt Ariane 6. On vise une mise en service en 2025. Le deuxième programme est ThemisThemis. Il s’agit d’un démonstrateurdémonstrateur de premier étage de lanceur réutilisable propulsé par Prometheus dont les premiers essais sont prévus en septembre à Vernon, puis seront poursuivis à Lampholdshausen. Un troisième programme, moins mature, concerne les futurs étages supérieurs. Plusieurs options et concepts sont à l’étude, dont l’un prévoit la récupération et la réutilisation d’un étage supérieur. Il faut absolument que l’Europe avance avec ambition dans ce domaine !
Futura : Ce qui serait une rupture technologique très significative. D’un même ordre de grandeur que ce qu’a réussi à faire SpaceX avec la réutilisation de l’étage principal du Falcon 9 ?
Daniel Neuenschwander : Absolument. Ce serait positionner l’Europe dans le domaine des lanceurs réutilisables en couvrant à la fois la réutilisation d’un premier et d’un second étage. La réutilisation est une réalité aujourd’hui. Sans être la solution unique à tous les problèmes, c’est une capacité qu’il faut maîtriser rapidement pour notre avenir.
Futura : L’idée d’une version habitée d’Ariane 6, voire d’un futur système de transport spatial habité, avance-t-elle ?
Daniel Neuenschwander : Un sommet spatial doit se tenir en février 2023 au cours duquel les gouvernements européens sont appelés à se prononcer sur cette question, suite au mandat donné à l’ESA d’étudier la question, lors du sommet spatial de Toulouse en février de cette année.
Futura : Tout au long de son exploitation, Ariane 5 a été « subventionnée » par l’ESA à hauteur d’environ 120 millions d’euros. Y a-t-il un risque que l’ESA soit également contrainte d’accompagner financièrement les premières années d’exploitation d’Ariane 6 ?
Daniel Neuenschwander : Les premières années d’exploitation s’inscrivent dans une phase de transition qu’accompagnera un dispositif de soutien voté en août 2021. C’est un élément important et stabilisateur pour le développement et la mise en service d’Ariane 6.
Futura : En 2014, l’ESA estimait le coût de développement d’Ariane 6 à 4 milliards d’euros. Ce budget est-il tenu ?
Daniel Neuenschwander : Les 4 milliards en 2014 comprenaient les développements d’Ariane 6, de Vega C et de leur moteur conjoint le P120C. Depuis 2014, un nombre de décisions complémentaires ont été prises pour Ariane 6 tant pour son développement que pour la phase de montée en cadence. Si je considère ces décisions complémentaires prises ainsi que les propositions pour décision lors du Conseil ministériel de l’ESA de fin novembre sur les adaptations du produit Ariane 6 et l’accompagnement de son exploitation, nous serons in fine dans cet ordre de grandeurordre de grandeur pour le développement et la mise sur le marché d’Ariane 6.
Futura : Le financement d’Ariane 6 ne risque-t-il pas d’être un frein aux ambitions européennes en matière de vols habités ?
Daniel Neuenschwander : L’horizon temporel n’est pas le même. Il est vrai que nous avons des engagements importants pour le système Ariane, mais je ne pense pas que le financement d’Ariane 6 soit un frein au financement d’un programme habité qui nous amènera dans la prochaine décennie.